U

Ü

Étienne Michelet Abrüpt

Toucan Fantôme

Toco le toucan, oiseau prophylactique,
n'a d'autre espoir que de sortir
l'Enfance des catacombes...
Toco veut sauver l'enfant Rosalia Lombardo,
morte d'une pneumonie en 1920
à l'âge de deux ans,
et dont le corps momifié est
encore aujourd'hui exposé
dans les catacombes des Capucins à Palerme.

(Musique composée par Étienne Michelet.)

S’il n’y avait eu que torrents et seuls torrents de boue ; de cette méchanceté qui profane, manifestée dans le resserrement d’une mâchoire qui tremble. J’ai voulu te montrer…

…une passerelle… dessinée dans le plus pur silence, celui d’une loi entendue de nous seuls… Nous seuls ! Tu entends ?… Passerelle portée sans erreur, sur le mouvement des cris et des stations squelettiques. Passerelle jamais une seule fois touchée par la langue des fauves, des amuseurs aux gencives roses, maculées de rires spasmodiques, creusant, anéantissant toute possibilité de floraison.

S’il n’y avait eu que torrents et seuls torrents de boue…

J’ai commencé à me mordre les mains, à vouloir me dévorer les doigts à pleines dents, à ronger jusqu’aux coudes les tissus, les os dans ma chair perforée, perforée par à-coups, par les saccades des morsures. Moi, j’aurais voulu… J’aurais voulu agrandir tout ton être avec mes doigts, ton image, ton visage… les porter chaque jour sur les battements de mon cœur. J’aurais pu sortir une infinité de fleurs de ma bouche ouverte… Ton corps de nymphe météoritique, je le porte contre ma poitrine, et le sang, et le liquide secret, et les pulsations au coin de mes lèvres de fruit.

Porter un visage dans le secret que rien n’efface, comme je goûte dans mes nuits acides les fleurs de passiflore et la croix de l’étamine, ses goudrons, ses stigmates de sang.

*

Ce regard tendu vers les racines d’une plante, et le sourire qui engendre… quoi ?… Qui engendre l’irradiation… ce sourire qui ouvre des rêves et des formules… Est-ce toi ? Ou bien moi ? Nous voici maintenant dans le triste étalage d’une mélancolie à pleurer. À pleurer de rire !… pour moi qui danse sur des peaux électriques. Moi ? Qui ne peux vivre, qui ne peut exister que dans cette folie du langage, qui engendre… qui engendre…

Et les corps maintenant, qui vont venir tourner autour de toi comme des corbeaux… Des corps articulés par le vice sans couleur, avec le bruit des dents sur les muqueuses, cette négation de l’enfance qui a engendré l’enfance… Crois-moi, de ma folie, tu n’en connais que le centième. Moi, de l’harmonium tubulaire, je connais toutes les sonorités, et tous les parfums.

On pourrait encore se tenir la main, si tu veux, tout en creusant un grand trou, et puis laisser couler de nos bouches la salive de nos joues amoureuses… Parce qu’il faut que tu saches, il est impossible pour ce cœur de ne pas défier le monde, de ne pas défier la mort et son silence. Veux-tu enterrer notre salive dans un peu de terre, pour que les autres corps, les corbeaux, viennent piétiner ces particules souterraines ?… Ou peut-être es-tu déjà de la compagnie de ces corps… qui foulent la terre sans parler, sans salive.

Il est ainsi possible de retourner la peau du serpent ? De brûler sous le ciel de glace ? De se taire, si vite, face au magnétisme ? Et d’abdiquer ?

Je crache, sur toutes les commodités, et sur toute la bibliothèque des sentiments sexuels, sur les bibliothèques plus qu’autre chose… la bibliothèque des sélénites menteurs. Il n’y a pas de vertiges dans un cœur comme le mien, cœur à double, triple rebond. Je bois l’eau des fontaines, j’embrasse les myriades de myriapodes, les hyènes, les tigres ! Je crache, encore, sur les architectures, tu le sais très bien… Tu seras bientôt capable d’ignorer ma présence… en continuant de parler en leur présence… parler en leur présence, dans la langue des corbeaux.

Tu ne te rends pas compte… le myocarde joue de l’accordéon. Le cœur noir de la maison, fluidifié ! Enfin ! Il s’en fallait de peu, d’un séisme silencieux qui joue la sentence… J’ai commencé à voir les chevaux danser dans une parade incroyable. Et je te voyais de tous les côtés, dédoublée, double visage, double nuque, les mots à canon, propulsés dans les étoiles crevées. Chacun de tes doigts… tes doigts si fins, un à un glissant dans ma bouche, pour une succion amoureuse, où la salive encore dépose sur ta peau toute l’humidité de son amour.

*

Ton monument était-il ainsi bâti, de colonne en colonne, un baroque d’arrière-goût, le mien moulé dans l’armature même d’une cage thoracique ?… Je parle maintenant la seule langue que je peux parler, dans le vide, creusant la distance, formant des vœux d’oubli… d’oubli ! Quand je parlais seul, le regard perdu dans les roses d’une haie, ou sur un mur, avec qui parlais-tu, et quelle langue, le jour où le ciel s’est mis à trembler ? Je parlais pour moi seul, pour moi seul ! Mes pas décrivant des cercles à n’en plus finir… Et quelle langue tournait alors dans ma tête, tournait dans les cercles ?… Cette éclosion d’un vide incompréhensible… dans le tissu nerveux de mon être, et cette stupeur… la ligature de ma pensée, ligature de la pensée absolue, jusqu’à la sensation d’être châtré sans témoins, car trop occupés à goûter le psychotrope récréatif. Je témoigne seulement, d’un jour de cercles…

J’écarte les doigts et je tourne la langue. Je serais capable d’élaborer ?… Élaborer oui, comme un enfant élaborerait un accident cardiovasculaire ! Je dévisage l’incendie, accusé d’une destruction. Et la cendre, d’un coup de vent, vient irriter les globes oculaires… Pater Noster qui êtes aux cieux, pardonnez-moi définitivement mes offenses et passons tout à fait à autre chose… Apprenez-moi plutôt à rester indifférent à la langue des hommes, cette crasse de la gencive. Je préfère de loin l’alphabet magique de la constellation du crabe, ou la station aventureuse du phasme.

Oublie, oublie mon sort, mais souviens-toi de moi…

Je me suis ouvert la tête en deux, j’ai ouvert en grand, pour que tu puisses voir ce qui se passe à l’intérieur. C’est un cadeau que je t’offre, comme un fruit ouvert… Mon fruit de la passion, qui ressemble beaucoup au fruit de la passiflore… Je t’en offre ostensiblement une vue en coupe… pour que tu découvres véritablement ce qui fourmille là-dedans, les étincelles, mon feu de Saint-Elme.

Je n’ai rien à cacher, de ces terminaisons qui produisent l’éclair d’une formule. Approche-toi encore, et encore… car toi seule peux comprendre cette folie qui vient tendre mon système nerveux, me reliant ainsi dans le moindre souffle au monde des esprits et du feu animal. Dans la nuit de la jungle, le grand bovidé blanc me parle de ses souvenirs d’enfance, comme un squelette de phosphore.

Demain je continuerai cette succion des doigts qui n’appartient qu’à nous, et je rejoindrai ton âme, si mon cœur le permet. D’ici là, prie pour moi, jusqu’à prime…

*

Que faut-il goûter dans un moment pareil ? Mon sommeil a le goût des fleurs, d’une corolle électrique. Je goûte le monde à perte de vue. Cette situation, depuis quand ?… plusieurs siècles. Affaire de foi, quand mon foie se compresse. Ta jeunesse endormie, beauté de la jeunesse ? Agite ces mots comme tu veux, comme une blessure ?… Pour si peu, fais-en une carapace, plus belle, plus jeune que la carapace de la tortue centenaire, la tortue séculaire, la tortue sexuelle.

Le jour commence et ton visage apparaît. Ton visage seulement. Et il s’effacera. J’ai donné mes yeux. Je les ai donnés, sortis des paupières comme deux billes qui roulent, vert-grisaille, les globes, propulseurs de lumière, billes à mémoire, bombes mémorielles. Que fais-tu dans les jours qui passent ? As-tu cette chance de ressentir ce divin goût de métal rouillé dans la poitrine ?… vestige ou parallaxe, qui s’installe, durablement.

Je me réveille à prime, je commence alors à chanter sous les mâchoires des dragons. Que fais-tu de ton corps ? Que fais-tu de ta peau ? As-tu des désirs particuliers ? Quelle chanson infuse dans ton corps, des pieds jusqu’à la tête ? Moi il me suffit de penser pour sentir le sang remuer dans les vaisseaux. As-tu des désirs ? D’autres corps agités autour de ton corps ? Corbeaux, corbeaux… Est-ce que leur peau est différente ? À la saison des étoiles, sous les plafonds d’étoiles, vois-tu de nouvelles constellations ? Quelle langue sort de ta bouche ? Cette pluie d’étoiles filantes, sous la voûte d’un plafond blanc, une Voie lactée, son goût sur tes lèvres, la chaleur d’un liquide de nuit, sur tes lèvres qui parlent, qui invoquent un dieu crucifié dans une fleur. Dans quelle langue ? Et quel goût encore sur tes lèvres ? Le goût des étoiles trouées ? Les étoiles muqueuses du désir de nuit. La lune toupie… Des regrets multipliés je fais un bûcher de fleurs, comme on brûle les tigres à Jambi, sur des tentures fleuries.

Je caresse un œuf avec mes trente doigts, énervant l’ivoire d’un clavecin, soufflant entre les vertèbres d’un éléphant. Ce sont tes yeux que j’imagine, parcourant ces lignes, fixant les mots, tes yeux d’ivoire, parcourant les lignes des mots comme des colonnes, les squelettes, les vertèbres d’un bestiaire endormi, seulement endormi. C’est ton squelette que je chérirai, comme le père de Rosalia Lombardo à Palerme, ce nœud rose dans ta chevelure, noué pour l’éternité.

Je fixe mon ombre de peur de fixer une hallucination, son mouvement ne fait que m’imiter ! Je bouge un doigt, elle fait de même. Elle ne sait pourtant pas imiter le son de ma voix. C’est bien moi qui parle, chère ombre, ombre des ombres, sifflement des oiseaux dans le tympan endolori, la pieuvre me paralyse certains jours. Araignées de mer, tortues sculptées dans l’os d’un requin, le rostre ! Ta voix veut décrire un liquide. Impossibilité ! J’ai déjà perçu cette exclamation… ton romantisme impressionniste d’industrie, catalyse de brocante… je préfère les roseaux, les épis de maïs aux livres entassés sur des étagères. Écoute la polyphonie de ma voix qui mâche du sucre. Sucre de canne, ferment des céréales noires… Je sonne la cloche de bronze, je frappe les écailles du poisson de bois.

Concert des voix nocturnes, voix de crapauds, ou bien est-ce encore la voix des corbeaux ?… Dans le doute, j’écrase tout avec une massue… je martèle les voix, à coups répétés, j’écrase, j’aplatis des centaines de voix… J’ai mal aux cuisses, d’écraser ces centaines de batraciens qui continuent à donner de la voix. Voix de raclure, bois frotté, coup de massue, bambous du rêve, bambous de flammes… Retournez à la terre… J’attends l’orage qui ne vient pas, qui va venir inonder et laver la terre des restes de corps martelés, écrasés dans la poussière. Au bord de la plage, j’attends l’orage et mon cœur n’arrête plus de bondir en pensant aux sons du futur, aux sons encore vierges ( vierges d’une écoute attentive) ; sons produits par la nature ou l’âme humaine (et seulement l’âme)… Je plonge mon visage dans l’eau de mer, je bois chaque vague qui vient. J’envisage de boire jusqu’à ce que les crapauds philosophent. Sueur froide, sueur de mer. J’ai cette vision aquatique de l’avenir, comme je suis capable de le lire dans le brouillard jauni par un lampadaire, jouissant de la vue d’un arbre épineux. Tu dors bien tard… alors que je me lève toujours très tôt pour dégorger un trop-plein de couleurs et de minéraux. De toute façon, la vie est déjà complète… Ô les sons du futur, Rosalia…

*

Foule de concert, tu danses au milieu des monstres. Ton maquillage bleu vert coule, des yeux batraciens, yeux coquillages, yeux perles, les plantes, la résine jusque dans les pores. Les cheveux éclaboussés de sueur, de cendre. Sourire des lèvres, sourire des yeux, sueur d’omoplates, les aisselles sexuelles… Juge mon amour… la tendresse de mon amour, dans la lumière des foules qui dansent, des sexes droits agités comme des branches. Les phrases se feront toujours dans un crâne de calcaire. J’écris, je dessine à la craie, silencieusement.

Stravinsky a une tête de crapaud, j’écrase ! Mondrian a une tête de crapaud, j’écrase ! Je préfère le dodécaphonisme. J’allume des bûchers, des autels de fumée bleue. Tu viens y allumer ta cigarette. Nous fumons maladroitement. Du haschich normand. De la résine pâteuse. Quel parfum suave, à faire tourner les murs safranés. La fumée en circonvolution, les arabesques dans ta poitrine adorée. Aspire toute la beauté de ce monde. Encens à bascule, torche des Cyclamens, papillons affolés, assoiffés. Une vision commune. Verbiage, verbiage. Perspective à bascule. J’ai tellement de chance, de manger les feuilles de basilic avec toi. Fumons donc du basilic, à faire fuir les araignées, soufflant sur les cierges. J’ai tellement de chance, d’assouvir ce penchant sous ton regard, alors tiens-moi la main sous le grand modelage d’une image marquetée… Je suis tellement sensible, admirant les bagues florales, les pierreries d’un rêve dominical. Lauriers couronnes aux enchères. Le poète au torse poilu, aux yeux de poule confite. Confiture virtuelle, amas de grimaces. Yeux de biche, des cordes de guitare au cou, à se pendre à l’arbre de Judas. Voix tortionnaire, Iscarioth en short. Tatouages vernissés de la consommation de masse. Barbe précaire, chevelure anglicane. Tournis des yeux fixes dans le miroir en vagues de satin, l’odeur de moisissure d’une tapisserie dans la narine, dans ta chambre d’oiseau en chaussettes. Ta musculature tu la rêves, seulement cérébrale, comme un enfant de chœur échoué dans les opiacés, la domestication de ta culture déshéritée, posée en trophée sur des étagères adolescentes. Avec ton sabre, je te ferai hara-kiri.

Je n’en ai pas fini avec toi, Judas chrétien, Judas du catholicisme, Judas cheering, je te donnerai en sacrifice, je te ferai brûler dans la forêt de Norvège. Pendant ce temps, je me ferai moi aussi un beau maquillage en plongeant le visage dans un nid de guêpes. Nous ferons des ex-voto de mon visage piqué mille fois. Ça te fera rire, parce que mon rire te fait toujours rire. Je vois déjà la fumée d’un incendie en Norvège… Les baleines frissonnent, rien que de penser à ces mets de sang dont tu te gaves… À mes yeux, le thon rouge posé sur du riz est une allégorie de la barbarie. Et les huîtres ? Les huîtres se vengeront, ta bouche ne les mérite pas. Les huîtres te cracheront au visage, instant ennuyeux pour toi, nacré jusqu’à l’os, je te noierai dans la piscine de la villa, ton cadavre ventripotent, animal d’aquarium aqueux aquariophile.

C’est assez. Le voilà mon lyrisme qui louche. C’était bien les caresses. Les caresses que l’on donne, pour sentir la fibre nerveuse, la peau hérissée sous la langue qui visite ton corps. Tout ce que l’on donne, des baisers à n’en plus finir, qui finissent par rougir la peau. Je sucerai la peau de tes doigts, je goûterai tes ongles jusqu’aux vêpres. Ma salive sur tes doigts, encore, pour voir ton sourire jusqu’au matin, encore, sous la lune bleue.

Visitons-nous, vraiment ! Les corbeaux te plaisent-ils autant que moi ? Savent-ils mieux parler, que moi ? Suis-je un singe ? Une méduse ? J’aime le vert depuis l’enfance. Couleur du végétal, mon bec de toucan. Toucan d’amour fou. Ramphastidae des oracles. Je t’embrasse avec la langue, avec mon bec d’amour coloré. Ma langue tourne en cercles colorés dans mon bec ouvert.

As-tu besoin de matière pour me comprendre ? La mariée mise à nu… Mariage impromptu. Décorum du devoir. Braises de censure, chantier naval noyé dans la catéchèse. Alors je te donne de la matière… Parcours une dernière fois les états bouillonnants de mon esprit, les sifflements du lézard sur la roche. Sens-tu mon souffle dans ta bouche ? Ma voix est ta voix, pour toujours. Sens-tu mes mains électriques et mon corps en particules phosphorescentes, ma voix de tonnerre, mes yeux d’eucalyptus ? Le bruit de la crémation, délicat, dans l’oreille d’un sourd. Quinta del Sordo… Argos sort la tête du fumier… je t’embrasse, je te caresse… que je me vois en toi…

Et dans le ciel, au bord du lac, j’entends ta voix :

When I am laid, am laid in earth, may my wrongs create no trouble, no trouble in, in thy breast. When I am laid, am laid in earth, may my wrongs create no trouble, no trouble in, in thy breast. Remember me, remember me, but ah! Forget my fate.

Que j’ai besoin d’une nymphe pour motiver ma pauvreté ! Penses-tu à moi, quand tu serres un corps, tes mains posées sur un autre dos ? Penses-tu à moi, dans cette chambre, ton corps couvert d’un autre corps, dans l’agitation des bassins qui se cherchent et se cherchent ? Suis-je une ombre, une coloration antique, déjà ? As-tu besoin de matière pour me voir ? Moi qui ne donne jamais rien… seulement de la destruction… Ta voix sans doute résonne déjà pour un autre. Mais aujourd’hui, tout me fortifie. Je transpire, mes cheveux poussent infiniment mieux. Je voudrais compter les secondes intermédiaires, entre chaque seconde. Trouves-tu que mon langage manque de dignité, face à ce monde qui t’entoure de ses bras de corbeau ? Je trouve moi quelque dignité dans la sottise, et tu le sais ! Être noble, c’est avoir des sottises en tête. C’est le surgissement en bonds furieux de la véritable noblesse. Je suis sage, sans jouer des habitudes, à tourner des paradoxes dans mon esprit, pour engendrer le meilleur de mon être. Tu lis entre les lignes. Les organes sont en fête. La fumée excite les alvéoles. Mais je ne fais pas de victimes. Je t’adore, comme un enfant tombé des étoiles. La lune vacille, les entrailles correspondent silencieusement dans le tremblement de l’air. Que j’ai besoin d’une nymphe pour motiver ma pauvreté ! Une source jaillit de ma bouche, une source intarissable, c’est ma ferveur d’adoration. Je voudrais sculpter ton portrait dans la cire. Fomenter des plans d’évasion. Attenter à la vie des insectes reproducteurs, cracher du soufre sur les toiles d’araignée. Ma pauvreté n’a plus de limite. Je suis ainsi devenu le plus pauvre de tous… À ne pouvoir qu’imaginer un jardin où poussent mes fleurs de passion. Que je manque de dignité… Je te ferai une place dans ce jardin, une place d’ombre, protégée du vent et du ciel sonore. Je te ferai une place de choix sous les fleurs. Tu pourras venir sous la pluie d’été manger les fruits que tu aimes. Je serai sensible à ta coiffure, aux attitudes de tes lèvres et de tes doigts. Je mangerai les fruits avec toi, comme si je mangeais ta propre bouche…

Je déchire mes vêtements, de rage, je suis nu. Je tourne sur moi-même. Pas d’ablution. Je tourne sur moi-même. Purification des rites. J’ai une oreille qui tremble et je tourne sur moi-même. Je suis nu. Je te cherche. Je cherche ton corps. Je veux te purifier avec mon corps, posé sur ton corps. Rotation des astres. Je veux te purifier, pleurer sur ta poitrine, mordre ta peau jusqu’au sang. Rotation des astres. Selon ma volonté ? Manger ton corps. Ou le faire disparaître dans un bain d’acide. Rotation des astres. Pleurer de l’acide sur ta poitrine enneigée. Mordre ta poitrine dans un bain d’acide. Nager dans un bain d’acide. Rotation des astres. Élever une géographie de tes reliefs corporels. Rotation des astres. Je suis nu, allongé sur toi, dans la rotation des astres. Je jure de tourner cent fois comme Mercure. Mon vecteur de vitesse restera constant. Dans un mouvement circulaire uniforme, la composante tangentielle de mon accélération sera nulle. Ma force de gravité mesurée sera influencée par la combinaison de la force gravitationnelle, due à l’attraction de ton corps adoré et de la force centrifuge due à ma rotation, dont la charge gravitationnelle embrassera la densité absolue de ton corps désiré.

La raideur cadavérique, tout le monde y aura droit, paraît-il. Je préfère exploser en vol, ma fusée disperse ses particules colorées dans le ciel. Je suis aux commandes du missile, aux commandes ! Comme la mère Michelle tourne de gros yeux tordus ! Assez ! Je te jetterai toi aussi du haut de la falaise, pour voir ton corps voltiger, et s’écraser dans un bruit sourd. Personne ne m’a vu ? Dommage… Après ce meurtre, je serai doublement coupable, parce que je volerai la bicyclette de la mère Michelle. Je pédalerai sur son vélo comme un fou… Mes yeux de singe… mes yeux de primate… Au fond elle n’avait pas si tort, M.M., je suis un démon, un serpent… regrettée M.M… Je vais me crucifier sur le guidon de sa bicyclette, pour expier le crime, pour expier le vol, chantant pieusement des oraisons funèbres en son nom… Peut-être nous aurions pu nous marier, Michelle Michelet, ça aurait donné un joli nom…

Mais revenons à l’innocence, sans meurtre ni rapine. Plus d’abattoirs ni d’instruments de mise à mort ! Les cages à volailles, la viande qui glisse, gutturale, dans l’œsophage, c’est fini ! Je suis un saint… saint Michel ! Je n’ai jamais volé de ma vie je te le jure, saint parmi les saints, saint Michel, sur la tête de Michelle… Quoique la meilleure chose dans cette vie, ça soit le vol ! Oui, voler… et prendre même de force ce qui ne m’appartient pas, quelle jouissance ! Je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Je suis un singe, un primate, un démon, un serpent… Pardonne-moi, ô pardonne-moi…

Dans la typologie que j’invente, il n’y a que des assoiffés, des brigands… Ils sont tous végétariens comme moi. Ils ne fument pas de haschich normand. Ils sont bizarres, tous assoiffés de vérité, de vice. Ils sont tous danseurs, voltigeurs, acrobates. Loueurs de louanges. Magiciens de la torture. Ils serpentent comme les serpents de mer. Affabulation ? Dans les légendes, ils capturent les pieuvres, sans risquer de mettre un seul pied à l’eau. Mais comment font-ils ? C’est simple… Ils attendent patiemment l’heure bleue… C’est à cette heure bénie que les pieuvres sortent de l’eau… Les pieuvres géantes se déplacent lentement sur les plages de Normandie, comme de grosses araignées maladroites. Il est alors facile de les capturer. Brigands-pêcheurs de pieuvres, les proies faciles… Tout est facilité pour le brigandage. Facilité, mère de tous les vices ! Mais jamais personne n’a pu les observer, ces pieuvres arachnides… Hormis les assoiffés du brigandage, personne ! …

La plupart des promeneurs ne les voient pas, les yeux aveuglés par les impressions du paysage normand, empreinte rétinienne, ou folie des falaises romantiques… Qui sait à quel saint se vouer ? Moi je sais… Pourtant les pieuvres-araignées sont lentes, et si maladroites… avec leur démarche d’oiseau blessé, proies faciles, encore… Mais personne pour les voir… Tous les promeneurs sont affairés à la contemplation merveilleuse de la masse liquide. Selon certains dires, sortis tous droits de la bouche des brigands, une pieuvre a un jour attaqué un promeneur venu de Sicile. La pieuvre courageuse, je ne sais pour quelle raison, s’est jetée, tous tentacules en l’air sur cet homme pour lui avaler les membres inférieurs. Le sicilien a pourtant fui, en oubliant de photographier ladite pieuvre-arachnide lancée à sa poursuite…

Revenons à un jeu plus simple, mais total. J’espère que je te fais sourire. Ou plutôt non… j’espère que tu ne souris pas le moins du monde. Parce que rien ne prête à sourire. Ces histoires de céphalopodes-araignées, personne n’y croit vraiment, à part moi. La noblesse littéraire ne sourit pas. Elle compose des tableaux de chasse ès lettres.

Le ciel dessine des horizons bas, les merles s’agitent dans le végétal noué. Je reviens au toucan. C’est vrai que c’est beau… Mieux que les corbeaux. Aucune férocité, ou scène de guerre sexuelle… Le toucan a son secret bien gardé dans le bec coloré : la longueur de sa langue, démesurée… La langue du toucan est une longue feuille, fine comme la feuille d’un dragonnier. Bec sanguin, vascularisé. Oisillons aveugles à la naissance. Oiseau coloré qui ne peut donc voir les couleurs. Oiseau, ton œil bleu, lapis-lazuli, ton bec, et sa polychromie variable. Toucan de nuit, arboricole… vole dans mon rêve sans couleur, jusqu’au prochain solstice. Immobile comme l’endormi, le soleil du solstice…

Alors s’agitant dans la canopée, son œil brille comme un astre.

Il n’y a aucune violence chez le toucan, de celle qui crève les yeux. Tu seras moi et je serai toi. Bec salivaire je t’embrasse à pleines dents. Je serai toi et tu seras moi. Toucan nom de baptême Étienne, un, deux, un, deux. Quoique le père soit aussi le fils, et le fils le père. Tu seras moi et je serai toi. Hamlet. Il n’y a aucune violence chez le toucan. Usurpation d’identité, couleur des yeux, bleu IKB. Creuse des crânes avec ton bec. Crâne. Hamlet. Crève des yeux. Il n’y a aucune violence chez le toucan. Que les fantômes soient toujours avec toi, et avec les esprits. Esprit toucan. Il n’y a aucune violence chez le toucan. Un, deux, un, deux. Étienne le toucan aime les toiles d’araignée. Il survole les volcans japonais. Il emporte dans son bec une variété de pierres volcaniques durant son vol. Les fleurs qui poussent dans le cratère, aujourd’hui, brûlées, brûlées, dans des vapeurs roses et vertes et bleues.

J’exige réparation immédiate, la voici ma véritable identité. Cent fois adepte du vol à l’étalage. Voleur de fruits arboricoles. Singe grimpant aux branches des acacias. Acrobate. Parade lunaire. Toucan une fois, toucan toujours. Multiplication dans l’Un. L’Un dans le multiple. Mensonge de cave. Mieux vaut passer son temps à se compter les dents. Quel temps fait-il aujourd’hui ? Est-ce que tu as fait l’appel ? Est-ce que Toco le toucan est présent ce matin ? À se ronger bec coloré et ongles. Toco le toucan a su faire preuve d’une grande implication. Mais mieux vaut quand il est absent… Oiseau de mauvais présage. Et crève l’œil dans ses moments perdus. Assassin voleur de bicyclette. Blasphémateur contre tous les saints. Pour récompense, tu auras droit à une part de grenadille. Toucan le toco, Toucan le MOMO. Je vais t’apprendre à prier Toco, comme un entraîneur sportif. Tu prieras d’une oreille attentive et aimante. Le monde est dans tes mains d’oiseaux. Le désir de guérison jaillira de ta prière. Toco le toucan, Takotsubo oiseau prophylactique.

Première cigarette au basilic de la sainte journée du dimanche, neuvième jour calendaire cher au jeune promu aux lauriers de l’université de la sagesse, ledit Durante. Neuvième jour du mois d’Augustus. Quand même la couche serait à ton goût, ne dors pas sous le soleil d’août… Sommeil de souche, ouvre les yeux ! Ne dors plus ! Il y a les toiles d’araignée, mais connais-tu les étoiles d’araignée ? La lune est un œil de toucan le jour. La lune est un œuf de toucan la nuit.

Je mange un œuf de toucan comme on mangerait le fruit de la passiflore. Œuf planétaire, œuf étoile polaire de l’équateur. Œuf du temps pascal, sa fumée rose dans le ciel des fossiles. Fossile… de la plante, des insectes et du fruit. Passiflore de la passion, stigmates de la sagesse. Mes yeux sont des œufs de toucan féroce. Mon nez est un bec vert et rose.

J’ai toujours eu un goût prononcé pour les agrumes, comme pour la pistache. Le bec de Toco déchire la chair des fruits dans l’hiver équatorial. Qui pourrait s’en soucier, au fond, de ce bec assoiffé du fruit des tropiques ? Mon tropisme frugivore. Ma langue de feuille enroulée autour des feuilles de bananier. Est-ce que je procède du jugement de Dieu, ou d’Esdras le prophète ?

Suis-je bien sérieux, à pleurer toutes les larmes de mon corps de toucan ? N’y a-t-il pas assez de sacré, de perfusions du sacré… des annonciations, en jets de lumière… Mon annonciation, c’est la courbe de mon bec. Annonciation de l’archange à plumes noires, jaunes et rouges. Alors non… je te prends avec moi, ne reste pas là, sous le regard des corbeaux, dans ton petit cercueil de verre, Rosalia Lombardo, je te prends sous mon aile… Ouvre les yeux, c’est le mois de la floraison pour ton petit cœur d’oiseau.

Le sacré peut ainsi abîmer certains cœurs, mais non pas le déploiement d’une aile, c’est mon exercice vasculaire au-dessus des torrents de boue. Rosalia, douce enfant, volons plus haut que leurs crimes. Accroche-toi à ma gorge, nous volerons plus haut, nous moquant des Jivaros, des Shuars du Pérou voleurs de plumes. Peuple adepte lui aussi de la momification rituelle.

Les fleurs de passiflore, mes soleils de crucifix ? Non, mes soleils géométriques ! Je vais leur voler dans les plumes, leur clouer le bec sur La Croix, à ces Indiens du rite. J’absorbe les peurs, pour en confectionner les plus belles tapisseries. Rosalia, enfant du ciel. Nous nous nourrirons tous les deux des meilleurs fruits, je te le jure. Je t’offrirai les plus beaux agrumes pour réparation à cette peine, cette monstration terrible que l’on t’inflige depuis maintenant un siècle. Cette exposition, ostentation des corbeaux du vice. Nous fêterons ton anniversaire dans les arbres. Tes lèvres recouvreront leur chaleur, le goût de l’acidité et du sucre dans les branches du pamplemoussier. Tes joues recouvreront la couleur du fruit d’enfance. Et du haut de notre arbre, nous cracherons, en grimaçant, les graines sur la tête des hommes momificateurs, nous leur ferons boire des instillations de perchlorure de fer par voie oto-rhino-laryngologique. Nous serons les enfants des arbres, et tu vivras enfin ton enfance à mes côtés, quand moi, à tes côtés, je vivrai mon enfance de toucan. Tu me donneras cette sensation qui bouleverse déjà mon cœur d’oiseau. Celle de voir enfin les couleurs.

Mon feu de plumes vous blesse ? La forme de mon bec vous déplaît ? Exagération ? Je concède que désormais la cruauté se raffine. Mais les blessures et les tortures que l’on inflige par la parole et le regard sont elles extrêmes, dans cette époque qui va à l’encontre du goût. Que vous faut-il de plus pour réponse ? Je le répète encore une fois, il n’y a jamais eu de violence en moi. Il suffirait pourtant d’avoir l’œil, de fixer un certain temps (quelques secondes suffiront) mon œil enflammé pour s’apercevoir que l’incendie visible n’est que phosphore et silicium. On a vu chez les requins les plus beaux sourires du peuple marin. J’ai vu chez le lamantin la grâce absolue et toute la beauté, la fragilité de l’existence animale… dans ces dinosaures maniaques de la dévoration des graminées. Maniaques oui, jusqu’à s’abîmer les dents par excès de silice, et ternir ce qui aurait pu être un beau sourire, aussi beau que celui du requin je vous dis. Mais dans des temps de corruption silencieuse, propice à l’extinction des espèces, le lamantin n’a plus son mot à dire. Que vous importe ses dents, sa dentition ? Et vous voudriez le voir sourire ? Je voudrais vous y voir ! Le sourire humanoïde schizophrène des soirs de fête… Quelle fête… Offrons les sacrifices aux Dieux ! Mon dieu ! Je sais me tenir sur la tête, et danser, loin du bûcher… monter de plus de cent degrés, et jeter des pierres sur les allumeurs de mèches, seulement. Avec la foule ?… Non, avec le lamantin… Dieu n’est-il pas censé aimer ce qu’il a créé ? Pyromanes sans profondeur, ce qui est profond donne de la réticence, loin du vacarme des applaudissements. « Sacrifice — Les animaux sacrifiés ont un avis différent des spectateurs sur le sacrifice et l’immolation : mais on ne les a jamais laissés s’exprimer. » Je continuerai donc, loin des applaudissements, à nager en eaux profondes, paisiblement, dans l’extrémité des profondeurs. Adorables lamantins.

Je suis tellement équilibré, je ne connais pas les extrêmes. Mais si vous y tenez… Cette fois, Rosalia, ferme les yeux. À ces gourous immolateurs, je tirerai les paupières jusqu’à ce qu’elles saignent, je remplirai leurs cavités oculaires de graminées, pour qu’ils y voient plus clair… Je sors poignards et instruments de découpe, et je découpe testicules, je prélève ovaires, pour leur boucher la trompe d’Eustache. Je mords le nez, je mâche férocement leurs narines pour en faire sortir de la bouillie cartilagineuse.

Quelques minutes avant d’être immolée, peut-être que Jeanne d’Arc observait avec amour, dans un des recoins du plafond de sa cellule, un nid de jeunes hirondelles. Les poissons eux se taisent, acceptent les morsures du squalelet féroce sans broncher d’une ouïe. C’est vrai que c’est charmant, toutes ces traces de dents à la surface des écailles. Ça leur donne plus de nuances. Effet confettis de chair à poisson. Cookiecutter shark… Ces yeux d’un noir profond, quand ses dents perforent les vertèbres d’un dauphin innocent. Je me suis mis à transpirer un équivalent de huit litres d’eau (dans lesquels le petit requin pourrait lui-même s’ébattre) rien qu’en pensant à la pointe d’une seule de ses dents… Peut-être pourrions-nous avoir des rapports plus amicaux, petit squalelet (féroce), qui de ce fait n’impliqueraient aucune attaque sur l’homme ? Tes yeux amicaux sont d’un noir si profond… Plus de morsures, c’est promis ? Mais le squalelet, pas si féroce que ça, me regarde de ses yeux mignons à faire fondre mon cœur de plâtre… Terrible accusation ! Il ne mord pas, il dessine ! Ce sont des motifs d’un style Art nouveau totalement nouveau. Exemple à l’appui… Il me tend de ses deux nageoires humides le cadavre d’un cétacé, un marsouin je crois… à demi grignoté… Ce n’est que pour faire joli ces trous-là… Ça fait des effets visuels… comme des tatouages, mais avec un peu de relief quoi… ( je ne fais que reprendre les propos du squalelet féroce)… du coup ça rendait bien alors j’en ai fait d’autres sur tout le corps, des trous…

Marsouin, tu n’as pas de chance du tout… Tu es devenu une sorte de médium artistique. Un support pour artiste dont la férocité s’exprime sur la fragilité lisse de ton épiderme. Pauvre marsouin, comme si les filets de pêche intensive ne suffisaient pas à ta douleur. Maintenant, on te prend pour quoi ?… Un simple réceptacle sans voix qui reçoit dans le silence océanique l’humeur colérique d’un artiste quelque peu… agressif… Tu n’exprimeras jamais, toi, parce qu’on n’a jamais attendu de toi que ces mots sortent de ta bouche de marsouin (le marsouin n’a rien à dire), cette douleur de voir le requin lui, s’exprimer en toute impunité sur toi, et par toi… Grâce à toi… Grâce à toi…

Chère amie, chère Rosalia, descendons de l’arbre un instant que je te montre mieux et du bout de mon bec les pierres qui miroitent et qui étincellent de jour comme de nuit. Ces pierres sont tout à fait magiques. Tes yeux, par la force du temps, prendront leur éclat. Tu leur dois une attention toute particulière. Dans le creux de ta main, le quartz colorera cent fois tes lèvres. L’obsidienne, quant à elle, apportera la profondeur de la nuit à ta pupille d’enfant endormie. La citrine parfumera tes cheveux dorés tandis que la cornaline revascularisera la peau de tes deux joues. L’agate rose te fera remuer la langue comme jamais. L’agate bleue bleuira l’iris de tes yeux. L’aventurine enfin, si tu la trouves, te fera aimer davantage le langage des insectes nocturnes et les mystères de la nuit.

Si tu soulèves quelques-unes de ces pierres, tu trouveras des araignées. Elles sont fleuries. Leurs pattes sont fines et longues comme tes cheveux. Je ne mange pas de ces araignées-là, rassure-toi… Je préfère les fruits. Et rassure-toi encore Rosalia, je pense que tu es une rose, et que tes pétales sont infiniment plus beaux que les crânes désossés des catacombes. Je voudrais que l’on brûle dans un grand feu tous les squelettes de la mort, et que ce soit cette nuit-là que tous les oiseaux colorés viennent se mettre à tourner autour des flammes. Les animaux pourront s’endormir sans crainte, car le feu engendre la vie, et le feu brûle la mort.

Mes tempes se sont mises à battre, je vois la lame sur laquelle les pieds nus des chamanes dansent… Vérifions le tranchant du sabre en léchant d’une langue assurée la lame latérale du métal poli. Oh non… mais une fois de plus je repense à tes doigts… tes doigts à sucer encore, à sucer entre mes lèvres… petits doigts l’un après l’autre qui glissent dans ma bouche… Il n’y en a pas un que j’aime plus qu’un autre. J’aimerais mettre tes dix doigts, vraiment, d’un seul coup, et d’une seule succion, dans ma bouche ouverte, lécher tes phalanges de longues minutes, pour que les esprits puissent entendre comme mon désir brûle pour toi.

N’y a-t-il pas d’autres manières d’épuiser la langue, que de décider ces succions, bien qu’elles soient si délicates. Mais c’est ainsi… La langue veut remuer dans le bec, relier le centre du nerf glosso-pharyngien au monde en mouvement. Et quoi de plus aimable, de plus vivant, en somme, que tes dix doigts d’enfants que je ne me lasserai j’aimais de goûter ? Il suffit que tu me donnes ta main, comme une offrande tendue vers mon bec assoiffé de tes doigts, dans un geste pur, une offrande dis-je, pour que mon bec, ma bouche s’ouvre et s’abandonne à la succion. La salive produite en quantité, la salive qui se manifeste toujours, car je suis un être salivaire en présence de tes dix doigts, la salive toujours, même les jours noirs, la salive dans le bec de sang, appendice sanguin, salivaire, salivaire… se dépose sur la peau. On aurait pu facilement croire que le bec veut blesser la main humaine. Quel manque d’amour dans l’esprit schizophrène-assassin immolateur-enthousiaste de l’humain-momificateur ! Mon bec reçoit tes doigts avec la plus grande délicatesse, au contraire… Et c’est un don que toi seule peux comprendre.

N’a-t-on rien de mieux à offrir à l’être aimé que cette succion salutaire, au lieu de faire étalage de toutes les douleurs spirituelles qui nous accablent ? Dois-je à mon tour ouvrir mon cœur en deux, comme un fruit découpé, pour que tu comprennes ? Ce cœur a la forme d’une amphore, d’un piège à poulpe. Ce cœur, vois-tu comme il bat étrangement ?… C’est qu’il ne veut rien entendre, et rien comprendre… Rien à faire du souffle. Arythmie, arythmie… Quelques secousses pour ce cœur d’oiseau… Le sang colle aux plumes, les plumes collent au cœur. Ce n’est pas un secret, le cœur du toucan est une muqueuse salivaire (encore la salive !) tapissée de papilles gustatives caliciformes. Et je peux maintenant te l’affirmer avec toutes les certitudes du monde (regarde-moi dans les yeux !) : il ne trouvera d’apaisement qu’au contact de tes doigts !… De tes doigts dis-je ! Quand les bourgeons de ma langue feuillue goûteront la substance tactile et la consistance de tes doigts divins !

Si je devais matérialiser la perspective de ce désir ! Le vol du toucan serait le vol d’une fusée interstellaire, déchirant les strates des nuages… oui c’est bien ça, déchirant les strates… Dans un déchirement vaporeux, le seul qui puisse traduire ce désir. Déchirement, mais silencieux, aérien, se détachant toujours plus du sol… mais sans vertige, puisque dirigé d’une seule impulsion vers des hauteurs inimaginables. Désir tueur d’étoiles… oui plus profond encore que les étoiles, qu’une pauvre quête d’astres lumineux post-mortem. Gueule du loup assoiffée dans le bec du toucan. Traversée des degrés de strates, dans l’impulsion spécifique du cœur sans vertige… Réaction, poussée… Bouche ouverte, grande ouverte pour avaler le ciel et le monde et recracher les étoiles calcifiées… Énergie chimique, que dis-je, alchimique ! Ma chambre de combustion est dans le cœur, non dans le sexe… Ma fusée-toucan ne ralentit jamais et ne regarde jamais en arrière. Ma capacité thermique massique pourrait bien me consumer le cœur… Alors on me montrera du doigt, on se délectera de la vision aérienne de ma chute… regardez comme il tombe, à vouloir monter trop haut… Ailes brûlées… Il ne connaît pas de demi-mesure, à vouloir jouer la fusée, sa combustion est un beau spectacle pour l’assemblée ici réunie en masse, afin d’assister au triste déclin de ma conquête aérospatiale.

S’il suffisait de faire plaisir, en leur donnant ne serait-ce qu’un peu de matière à railler, de nourriture en définitive, eh bien moi, oui je le ferai ! Je me montrerai maladroit comme il faut… comme ils veulent ! Pour leur donner par amour un peu de bonheur dans cette existence maladive !

Voilà que Toco revient pour fondre sur les têtes agitées de la foule, palpeur de chevelures au passage. Le centre névralgique interne de l’être humain, au caractère agité, émotif, induit des manifestations extérieures souvent excessives et nécessite parfois l’utilisation de substances psychotropes. Je soupçonne cependant une cause plus profonde. Prenons enfin exemple sur les momies. Quel repos paisible, n’est-ce pas ? Aucune agitation… On entendrait une mouche voler ! Dans l’ensemble c’est un monde harmonieux… Évacuons dès le départ toute idée de toxicité. Bien que ta consommation excessive de basilic te fasse des yeux de chameau, des yeux de lanterne. Nous parlions de chimie… C’est un monde qui recèle tellement de magie ! Le cœur en redemande. Cœur assoiffé de chimie ! Prêt à faire des bonds si on ne lui donne pas sa demi-part de comprimé. Tu dors bien de ton côté de l’Apennin ? Déconfiture des murs de chambre, et glaciation des vertèbres dans les verticales. Tu es dans l’horizontalité du sommeil de souche ? Montagne bleue magique cloisonnée entre les quatre murs de ma chambre. Montagne d’un bleu de ciel sans nuage. De mon côté, eh bien, je vais consommer les céréales purificatrices, les graminées aquatiques, délice des lamantins. Plus de basilic dans ces contrées lointaines ! Je me contente donc aujourd’hui de chimie cérébrale articulée à horaires ponctuels. Ta consommation te donne des airs de poupée méchante, de sorcière lubrique. Tes yeux tombent comme des poches de calcaire. Les corbeaux sentent l’odeur de la résine à des kilomètres. Ils vont fondre sur toi. Tu leur souris finalement. Et ça te va bien. Yeux maquillés visqueux qui fondent dans la sueur du visage. Tu es une torche, comme tes lèvres humides chaudes enfumées… À titre de comparaison rapide, de la température de la lèvre sexuelle à la lèvre buccale, aucune différence ! Tes yeux sont maquillés en sexes verts. Sourions pour le souvenir… Corbeaux en tous genres, venez prendre part à la fête… dans la communion des corps en douces agitations nocturnes. Envie de remuer la chair ? À chacun son désir d’émancipation, à chacun ses périodes. Ouvrez grand les cuisses sur le néant des narines affamées ! Moi, mes poumons jouent de l’harmonium. Et tu peux me dire ce que tu veux… Je sais AU FOND que j’ai raison.

Quelle ivresse folle pour mon cœur tuberculeux. C’est le contrepoint d’un clavecin, et des architectures de porcelaine. Des architectures de corail. Nous allons nous accoupler jusqu’à la pneumonie. C’est le mariage des pieuvres. Je vais creuser et creuser la nuit pour le bonheur de nos yeux, des nucléoles dispersés. Union des rites. Sympathie coordonnée de nos âmes. Danse pour moi ! Ton visage et tes yeux clos perforent la nuit.

AU FOND, j’ai une telle sensibilité pulmonaire. Mes poumons sont tapissés de visages d’enfants. Les bruits de la vie ne sont rien à côté de ça. Mon cœur vient de bondir, jusqu’à faire gonfler les parois de ma gorge. J’irai moi aussi mourir dans une caverne de minéraux. Couvert d’un tumulus de végétal sans fleur. Tumuli fiévreux des toucans fiévreux. Cette époque sauvage me tue.

J’ai tellement rêvé étant plus jeune, face au portrait de sainte Agathe peint par Zurbarán. Ces deux petites cloches de nacre posées sur un plateau de cristal. Ton épisode hagiographique me donne l’eau à la bouche, jusqu’à ce que le bec déborde. J’aimerais te voir tous les jours, te consacrer un culte aérien. Je ne tiens plus face… au son de ta voix. Place aux fantômes, spectres de velours. Zurbarán, chair d’agrume, velours des lèvres de glace. Incarnation sensuelle du velours… Velours volcanique. Hagiographie du toucan déplumé sous les tropiques. Pour les couronnes des momies. Quelles fleurs cérébrales ? Ici ? Les pivoines !

Agathe, ton visage est un sein rose. TES seins coupés sont des îles sur une mer d’aluminium. Magie insulaire ! Le pli du velours est un sexe orageux. Comprends-tu enfin que te dépecer de la sorte est un acte d’amour ! Le pli de ta robe est un intestin amoureux. Les perles de ton collier sont des perles érectiles. Alors moi je t’enfonce la tête dans ton enfance ! Tu vois mieux maintenant ? De force ! Tu vois un monstre ? Je te retiens la tête de force, oui, dans les courants agréables de ton enfance chérie, jusqu’au cœur rose. Regarde-moi, enfant, regarde le toucan enragé, qui vomit le basilic en torrents de boue. Tu vois un monstre ? Appuie-toi sur l’os de ma méchanceté pour tarir tes pleurs… Mon amour, je suis plus méchant que toi.

Est-ce que ta poésie te rend heureuse, AU FINAL ? Des collines et des collines de silence, à perte de vue… Ton éternité, tu en savoures la félicité, en posant ton anus fleuri sur le cratère du volcan endormi. Agathe de Sicile ! Rosalia de Sicile ! Je t’en foutrai moi de l’éternité, en intraveineuse… et plein le tube digestif ! Matelot sicilien des catacombes, dévoré par les pieuvres-araignées sur une plage normande, un jour de novembre. Il n’en reste sur le rivage que la cage thoracique. Venez donc mesurer vos pauvres falaises à mon vertige sans fond… Anus, Fleurus, Volcanus. Momies des catacombes siciliennes… Capucin, singe à face blanche de crème du Panama. Singe à face de momie sicilienne, en plâtre pompéien… Ta grimace du tragique, les yeux dans les yeux.

Suis-je une enveloppe de chair bien réelle, à me tenir ainsi debout, ma langue qui remue seule au milieu des autres enveloppes de chair ?… remember me… souviens-toi de moi dans le temps qui se déverse en coulées de lave, quand je ferme les yeux… pardonne-moi, oublie mon sort… Est-ce bien un visage que je touche, quand mes doigts se posent sur mes lèvres ?… dans ce souffle… remember me… et le manque de souffle… forget my fate… le manque de souffle… souviens-toi de moi… dans ces voix, et le tremblement des organes… où se trouve ce territoire volcanique… et ses fleuves de lave qui découpent des parcelles de terre ?… L’anthracite que l’on sédimente… pour se noircir les dents… que je parle seul… sous le ciel de cendre… Ne sommes-nous pas allés assez loin ? Divine… chute… ton corps suspendu dans les vapeurs, tourbillonne… Ton âme incandescente… Que je parle seul… Que suis-je devenu ?… Les corps divins… célestes… tourbillonnent dans mes yeux… les corps aimants que j’aime… de douceur… mon enfant… ma sœur… les volcans des déserts… les volcans d’amour… Dois-je me taire ?… Et disparaître ?… Sous la croûte terrestre… cette plainte… when i am laid… mes yeux sont des volcans… am laid in earth… mon cœur jeté dans les cratères… la langue pousse… les reptiles se multiplient… Donne-moi la main encore… dans le manque de souffle… Traversons les flammes… Cet espoir… non pas dans ta main… mais ta main elle-même… l’espoir de ta peau sans douleur… forget my fate… Ne m’oublie pas… souviens-toi… la vie souterraine… mon cœur souterrain… je formerai des îles pour toi… je profanerai le ciel… l’espoir de ta peau… de ta peau… sous mes lèvres de feu…

Ah Belinda, pourquoi ces larmes ?… Les loups meurent en silence chaque nuit dans les forêts… étranglés dans les pièges des hommes… Et même si tu voulais retenir cette main qui tremble, il est bien trop tard maintenant, je n’ai plus d’esprit… Enveloppe opaque, mourante… Ton dévouement est infini certes… Et tu seras sanctifiée pour cela… Et l’Éternel fera des prodiges… C’est un délice de grêle qui s’abattra sur la tête des hommes. Je voudrais tous les sacrifier. Leur arracher les dents. Peux-tu voir des yeux sincères dans cette assemblée ? Je n’en vois aucun. Je voudrais tous les sacrifier au bûcher, bûcher d’une douceur innommable. Je chanterai très haut quand les corps se consumeront. Un chant d’une incroyable douceur. Et toi tu me regarderas faire. Et toi tu tomberas sous le charme de mon chant d’expiation. Ma voix dans le ciel, et les corps sous tes yeux, qui s’effondreront dans la chaleur des flammes, comme embrassés par le souffle divin… M’aimeras-tu encore, dans toute ma cruauté ?

Ma tête va exploser, je le sens. Que le sommeil vienne… Quel spectacle ! Bruit de cuivre. Tuba ! Carnaval d’idiomes… Les images du romantisme suintent. Des paysages de falaises. Le voyageur au-dessus de…, décapité ! Pendant que la céphalée court-circuite mes sens en profondeur. Tuba ! Donnez-moi un sabre, que je décapite à tour de bras. Tourniquet-manivelle à décapitation des préraphaélites. Fontaines des cervicales, en petits volcans de sang… Quel spectacle formateur pour le toucan sorti du bois. Ami de la chouette. Faisons des enfants, deux ou trois, ensemble. Je m’endors dans un lac d’oubli, dans une eau lactée qui me porte. Ophél… Décapitée ! Un requin du Groenland me tourne autour, pacifique… Un autre requin me chatouille les cuisses, bioluminescent… C’est une Voie lactée qui se déplace dans le flux liquide… lacté, et sous mon dos dépose ses constellations… Squatina squatina, mes poumons ne valent pas tes fentes branchiales. Ange de mer, je te préviens, les hommes te cherchent… Il faut te faire discret mon ami. Tu peux me confier tes œufs… tes œufs de requin dans mon nid de toucan.

J’en appelle à saint Côme et saint Damien, saints jumeaux, protecteurs des enfants, pour te protéger Rosalia mon enfant. Double sainteté de l’enfance, l’enfance couronnée d’or, comme toi… Rosa, ton ruban feuille d’or…

Dans le panneau de Fra Angelico, prédelle peinte sur du bois de peuplier, les trois (premiers) frères sont déjà décapités… Triple décapitation qui multiplie les corps tout en les mutilant ; ces têtes qui roulent comme des billes dans des auréoles, et qui n’en finissent pas de s’entrechoquer dans un tintement de métal macabre… Comme la lame se lève, irritée ! Rien ne l’arrête… Côme et Damien patientent, les yeux bandés. Ils ne peuvent rien voir, rien… ou seulement peuvent-ils entendre le tintement des têtes fraternelles qui vibrent dans le sable ? Ils patientent étrangement, calmes et droits. Plus droits encore que la lame aérienne du bourreau. Ce sont bien des corps d’enfants colorés, à la différence de la monochromie des frères, déjà adultes, déjà sacrifiés… Côme et Damien, eux seuls, doublement enfants et silencieux, doublement droits, plantés dans la terre comme de jeunes arbres… Arbres silencieux, enfance silencieuse, du double silence qui ne répond pas, qui ne parle pas, qui sait écouter la vibration de l’air, qui reçoit en son cœur muet les sentences du monde (adulte), sans protester. Ces deux enfants sont agenouillés, au plus près des fleurs, alors que les frères (fontaines de sang), se roulent dans la poussière de sable, la poussière qui colle à la sueur, au sang. Eux sont là, dans les fleurs, martyrs in-tuables, insensibles… Et ces arbres, DROITS, derrière le petit enfant martyr, démesurément longs… Des flèches aériennes, peut-être des peupliers, bois de la prédelle… Comme si le bourreau levait son épée pour couper les arbres. Rangée de cinq, comme la divine fratrie, fauchée, décollée, décapitée… Cinq, comme les cinq doigts d’une main… Ces enfants sont donc des arbres, in-tuables et silencieux, et DROITS, étrangers pour toujours aux sentences, à la violence du monde, insensibles à la vue d’une lame.

Comme je suis du signe du toucan, ascendant rat, j’ai toujours aimé le voyage, et les contrées solaires. Pour voyager, mon bec ne me gêne pas le moins du monde, parce qu’il est creux, comme la souche d’un arbre sculpté dans un bois de peuplier. Un autre panneau me traverse l’esprit (esprit d’oiseau voyageur arboricole). C’est une prédelle attribuée à Sassetta, le primitif siennois. Una città sul mare. C’est une scène qui n’est pas une scène, un paysage sans en être un. Un bord de mer, et une forteresse vide, et des rochers aussi, plus beaux que les falaises normandes parce qu’irréguliers… Roches de glace… camée du songe… Peut-être s’agit-il des seins d’Agathe, posés sur leur plateau de cristal ?… Je regarde cette barque, ce noyau de fruit coupé en deux, mon œil la fixe attentivement… cette barque, ce fruit, c’est mon œil… Embarcation souple, organique… Elle m’attend, elle m’invite à m’embarquer pour le voyage… Je laisse Rosalia sur le rivage, en divine compagnie (elle jouera aux billes avec Côme et Damien). Elle ne sera plus seule, Rosa, abandonnée dans son petit cercueil de verre. Elle retrouvera enfin les jeux divins, et le sourire en partage… Adieu ma belle, mon enfant, ma sœur… L’île aux fleurs de cosmos m’attend…

LE MASSIF DE ROSES a envahi mes yeux, mes yeux, mes yeux… Là il faut que je vous raconte… près d’une feuille, une grosse chenille fumait une cigarette de basilic. Elle me regardait de ses yeux, de ses yeux, de ses yeux… Elle me dit de couper une feuille de laurier rose en deux et d’en boire la sève, ce que je fis sans hésiter une seule seconde… Et là ma tête s’est mise à tourner et j’ai commencé à voir des oiseaux, ou des chauves-souris, je ne sais plus… faire des loopings, et claquer du bec, ou des dents… C’était une expérience tellement magique. Cette danse aérienne ! Nerium oleander, digitale pourpre, mon cœur n’en finissait pas de faire des bonds… Le soleil était tellement beau. Les chauves-souris aussi… Elles semblaient toutes sortir du soleil… oui c’est bien ça… Le soleil vomissait des chauves-souris, ces petits vampires de feu… Quelle délicatesse dans leur vol… J’aurais tant aimé pouvoir les rejoindre et moi aussi me brûler dans la sphère solaire.

Je voudrais pulvériser le sacré, en faire des miettes pour les mouches… Crois-moi les squelettes d’animaux sont tous chérissables ! Ils manifestent une fragilité, un secret… et cette volonté du vivant à se mouvoir, à sauter de branche en branche pour se nourrir…

Si tu savais comme j’aime tes jambes… Rien que de toucher tes mollets… C’est un afflux de sang qui me parcourt le bec ! Il faut que je me calme ou je vais finir par me nouer la langue, en faire un nœud pour me taire ! Tes jambes, tes jambes, tes jambes… Ma dévotion pour tes jambes. Claquements de bec, assoiffé de tes jambes-mollets-cuisses-talons-pieds-orteils, à ravir !… Mes baisers en torsades… Torsades baroques ! Baldaquin des jambes ! Il faut que je me calme… Je vais aller faire un tour de bicyclette… sur la bicyclette posthume de Michelle… Je vais me faire des collines et des collines, la colline du Mont-Saint-Michel, à tours de pédales enflammées… Surmâle ! Surtoucan cycliste ! Plus rapide que des avions, parce que vraiment tes jambes, c’est très fort !

Agathe aux deux seins volcaniques… Le vol du toucan au-dessus des volcans… mon VOL-TOU-CAN au-dessus de tes deux seins-montagnes-de-feu-en-éruption-de-lait-de-feuille-de-laurier-rose… Je vole et je tourne autour des pointes merveilleuses, et je fonds !… d’une seule traite ! Tout droit sur la cime du sein et voilà, mon bec ouvert pour succions, et la langue qui serpente sur les monts. Géologie frugivore. Ton écorce terrestre, j’en fais mon orgie des maxilles… « Agathe vient encore de a privatif, sans, de geos, terre, et Theos, Dieu, comme on dirait une divinité sans terre… » Quintien le Sicilien, corbeau parmi les corbeaux, et homme ignoble, jouit de ta beauté en idolâtre. Il veut t’emporter avec lui, dans son palais pour te déflorer… Et toi ? Tu y vas les yeux fermés ? Puisqu’il était idolâtre ? Tu serais donc sensible à l’idolâtrie ? Il n’y a donc plus de rosée salutaire. Le toucan va se poser dans son nid-caverne… Et fermer l’œil… « Quintien en colère (non mais !) lui fit tordre les mamelles et ordonna qu’après les avoir longtemps tenaillées, on les lui arrachât. Agathe lui dit : “Impie, cruel et affreux tyran, n’as-tu pas honte de mutiler dans une femme ce que tu as sucé toi-même dans ta mère ? J’ai dans mon âme des mamelles toutes saines avec lesquelles je nourris tous mes sens.” » Ça doit faire mal, surtout quand les tenailles serrent les mamelons, genre je te remets les pendules à l’heure… Et on va te faire sonner les cloches !… La fin est tout de même plus intéressante (reviens Toco…) : « Un an après, vers le jour de la fête de sainte Agathe, une montagne très haute qui est près de la ville fit irruption et vomit du feu qui descendait comme un torrent de la montagne, mettait en fusion les rochers, et la terre, et venait avec impétuosité sur la ville… » La fin on la connaît… Par monts et volcans, seins de feu… Quintien… tiens-tiens, le Sicilien… qu’a-t-il fait de tes seins ? A-t-il entenaillé tes mamelons pour en faire des rondelles ?… C’était purement amical ? Toucan sort de ta grotte, tout de suite ! C’était amical je te dis… Qu’as-tu à te morfondre contre des murs qui font la toupie ? De toupies en céphalées, ce toucan souffre d’un délire paranoïaque, c’est sûr… Paranoïa sur les bords quand même, ou ne serait-il pas… jaloux ?… Jaloux ! Alors là non… C’est trop ! Pieuvres-araignées venez… attrapez-moi ce touriste militaire… et faites-en ce que vous voulez… Mangez-le, déglutissez-le, vomissez-le… Comme bon vous semble… Mais ne laissez sur le rivage que sa cage thoracique, sucée et polie jusqu’à l’os… Petit souvenir de vacances… Monument gothique qui te ressemble… Tu serais toi une cathédrale gothique dans une autre vie, en os ? À l’affût des vents marins… Des tempêtes… DES PIEUVRES… Bonne nuit…

Serais-tu tombée amoureuse de Toco ? Alors que nous sommes si nombreux dans ce siècle maudit. Toco est-il l’élu de ton âme, le grand vainqueur de la compagnie des volatiles ? L’essayer, c’est l’adopter ! Toco est pur comme le ciel du mois de janvier. Toco sort son bréviaire de sous son aile-aisselle qui sent la sueur… Jan-vié ; l’r ne se lie jamais… Toco lui non plus, ne se lie jamais avec le monde… Janus… tu l’as bien profond… Ça me rend fou, ça me rend fou… Tourne dans ta cage de toucan poivré, en essayant de découper les barreaux avec ton bec… S’il se brise ? Aucune inquiétude, notre siècle maudit a inventé l’imprimante trois dimensions… On te fera un bec tout neuf, en résine de cannabis… Tu voleras de travers… Tu seras définitivement paranoïaque… « Le Dr Beremiz Salazar, un spécialiste orthopédique à Mexico, a travaillé sur le cas extraordinaire d’un toucan au bec cassé. La blessure est certainement une conséquence du trafic d’oiseaux, et sans le bout de son bec le toucan est incapable de manger et ainsi condamné à mourir de faim. Le Dr Salazar a travaillé en équipe avec un vétérinaire et un graphiste professionnel afin de recréer un modèle du fragment de bec disparu, qui a pu ensuite être matérialisé à l’aide d’une imprimante 3D. » Merci docteur… je faisais un cas extraordinaire, il est vrai, et grâce à vous, je peux à nouveau manger, mais surtout je peux à nouveau… vous mordre, oui vous mordre jusqu’au sang, docteur Salazar de Mexico… Vous êtes un saint… Saint Salazar du Mexique, je vous ferai ériger une statue, à l’aide de mon imprimante 3D. De quelle couleur la souhaitez-vous, cette statue, Beremiz… bleu turquoise ? Terre de Sienne ? Je vais vous tordre le cou docteur, vous briser les os, et tous les membres du corps… pour vous faire ressembler au triskèle sicilien… Dr Salazar à trois jambes… Il est vrai que cette île est fertile… Divine fertilité en épis de blé. Je voudrais vous voir brûler dans un champ de blé… oui… « Et c’est comme ça que l’on remercie le docteur, de vous avoir sauvé la vie ? » Mais suis-je un cas si extraordinaire ? Le trafic d’oiseaux, ce ne sont pas les oiseaux qui l’ont inventé, non ? Le toucan ne trafique pas… Sinon du basilic, de temps à autre.

Pourquoi tu viens là, toi ? Jusqu’ici ? Devant l’entrée de mon nid-caverne ? Ne vois-tu pas que j’ai besoin de sommeil ? Avec mon bec de résine bleue, je ressemble à quoi maintenant ? J’aurais préféré mourir de faim… Tu veux de la poésie ? Des vers sur l’éternité qui caresse ? Qui s’envole ? La poésie des statues ? Éternelles ? La poésie éternelle des catacombes, des volcans éteints ? Pourquoi cette méchanceté Toco ?… Pourquoi ? Mais je vous pose la question, moi ! Pourquoi ? Ça vous plaît je crois, la méchanceté… Le trafic… Et puis après on en fait des cas extraordinaires, des assoiffés, des oiseaux gavés aux benzodiazépines… « Oh, mais comme il semble souffrir ce pauvre oiseau… » Pauvre bête… Si vous saviez comme je déborde de joie, et de feu… Ma folie est pure. Toco aime sentir la pluie sur ses plumes, Toco peut sentir la divine essence du vide, son énergie, sa lumière… Avec ses yeux de toucan, Toco sait voir, comme vous ne verrez jamais une seule fois dans votre vie… Mais la grande vertu s’ignore… Et Toco se tait !

Chanson de Toco sur l’Infini

J’ai toujours aimé cette colline à l’écart
Et cette haie qui de tous côtés
De ma cervelle d’oiseau déplumé
Cache la vue de l’horizon lointain
Ô horizons lointains quelle infamie
De l’au-delà, et des surhumains silences
Il n’y a pas d’au-delà Giacomo
Mais un présent qui seul brûle l’organe
Et je nie cette très profonde paix
Et je n’entends rien à ces balbutiements
De l’éternel qui effraie le cœur
Car mon cœur d’oiseau tachycardiaque
Vit pleinement ses heures
Sans les ignorer dans l’éternel lointain

Je t’en ferai manger du papier, libraire. Toco a plus de style dans ses plumes que toi de poils dans ta moustache. Quelle beauté eucharistique ! Le transept a des lignes très agréables. Quel goût ! Je raffole moi des crucifix… Le passé est entré dans le présent, et le présent dans le futur… et le futur encore, dans le passé… Christ élégant… Mont des Oliviers… Giotto di Bondone. Agonie dans le jardin. Serre-moi fort… Tu n’es pas, toi, un évènement de ma Passion, tu es mon trésor, je te jure !

Divine enfance, qui découpe des formes colorées dans du papier. Toco se pose doucement sur ton épaule. Toco t’accompagne dans tes jeux, il incline tendrement le bec. C’est son langage d’amour, silencieux. Sens-tu cette présence qui t’accompagne, en silence ?… Elle est là cette éternité, dans le mouvement de tes doigts. Et dans tes danses aussi… N’oublie pas de sourire quand tu danses.

*

Les requins-requiems, ce n’est pas trop mal… Les requins-épineux non plus… Et le requin longimane, la terreur des naufragés… sa solitude, dans la grande masse liquide… et puis voilà, un naufragé, et tout s’accélère… Danse nuptiale… Toco saute sur les branches d’olivier du mont des Oliviers… Ton vol, le temps d’un voyage, de solitude… et le déluge est terminé ! Le toucan porte son rameau dans le bec (ce qui ne l’empêchera pas de prononcer son discours eschatologique)… Clin d’œil bleu… aucun nuage à l’horizon… Toco voyage dans le temps, jusqu’à l’an zéro. Dans la Nativité, tu supplantes la pie (symbole de joie). Tu es là… à ta place ! Toco tes plumes, on les retrouve jusque dans le quattrocento… dans cette Nativité que Piero della Francesca peindra juste avant sa cécité. Œil bleu, aucun nuage à l’horizon !

Janus bifrons, tu as une tête de trop. Quelle chaleur sur le Janicule ! Je vais ériger un temple pour Toco, avec sacrifices tous les premiers jours de l’an. Korbanot, corbeilles de fruits… Le ver danse dans la pomme, et gesticule, comme un serpent cobra au son d’une flûte sculptée dans un bec de pélican. Une tête de trop… Les portes et les portes et les portes… Jeongmal yeppeo ! Un temple bâtit en bois de canne à sucre… Plafonds peints aux motifs floraux, fleurs de passiflore… Mugunghwa… Rosa je vais accrocher une fleur d’hibiscus dans tes cheveux. Ainsi, je ferai de toi, Rosy Rosa, la petite déesse du temple sucré. Nous bâfrerons des pains entiers de Jaggery tout en dansant, nos pieds nus foulant la rosée acidulée sur l’herbe du matin. Des centaines de chats errants viendront nous tourner autour et nous lécheront les doigts. Comme nous danserons, une danse désarticulée, incomparable… Nous sauterons à pieds joints comme des poupées primitives, pour rendre grâce aux astres, et célébrer la face invisible de la lune… et les étoiles filantes aussi… et les Quadrantides et la constellation circumpolaire de Céphée… Notre danse oui !… Danse circumpolaire à souhait ! Nous tuerons dans l’œuf toute espèce de jalousie… Et tout comme Céphée roi d’Éthiopie, nous commanderons un monstre marin pour détruire les autres temples, celui de Janus en priorité… Du moins, Céto avalera l’une de ses faces… Celle qui regarde le passé sans fleur…

Je vais danser et danser encore, avec toi Rosa… Et rien ni personne ne pourra m’arrêter, même si je venais à manquer de souffle… jusqu’à pleurer… ça me fera tout de même sourire, de continuer à danser comme ça… Et je danserai encore, même si je saigne du nez… Je continuerai à danser même si je suis le plus idiot des danseurs, même si je monte à plus de cent degrés… Je danserai encore comme un automate… Je danserai avec toi Rosa… Même si je suis effrayé jusqu’à la mort… Que veux-tu de plus ? Je suis un corps qui ne veut que danser, et danser et danser… danser jusqu’à dévoiler l’autre face de l’astre. Celle qui ne bouge jamais, qui se refuse à tourner… C’est ma danse qui fera tourner le monde… Ma danse entraîne le monde dans sa révolution… Je ne dors plus, je danse les yeux fermés, et je vois la vibration des constellations sous mes paupières, et je vois encore ton visage constellé… et tes deux mains qui s’ouvrent comme des étoiles… Quelle partie de moi sera retenue dans une mémoire ACTIVE… et tournera jusqu’au vertige ?… Quelle partie de moi… vivra encore… dans ce mouvement d’éternité, bien AVANT et APRÈS toute science, dans cette ronde joyeuse, projetée dans la poussière des astres ?

Toco n’est pas de ceux qui dorment jusqu’à pas d’heure… à faire lanterner les heures dans un sommeil de momie sicilienne. Toco, tu n’es pas de ceux qui s’évanouissent… Il n’y a pas de fluctuation de l’âme chez cet oiseau. Il n’ a pas besoin de miroirs pour se tenir en éveil…Toco ne s’évanouit jamais ! Ses yeux sont des cercles sans sommeil. Son bec est une passerelle photométéorique jetée sur le temps… Les corps peuvent être beaux, certes, et désirables… Mais il faudrait savoir ce que l’on veut ! Définitivement !… Il n’y a plus aucun doute pour Toco… tout est survol, vitesse, et ouverture… de bec… et sa langue est exemplaire… son bec est aiguisé comme une lame… Iris l’accompagne, lui offre la faveur de ses parfums, et de ses bonnes nouvelles ! Iris ma fleur… Irisation des yeux… Photométéorie du regard… Nous irons pique-niquer à Coucou-Ville-les-Nuées… pour cueillir le basilic frais… Nous nous laisserons embrasser sans manières par les Nuées, ces oiseaux adorables, dans un tourbillon aérien. Les chouettes s’armeront de lances… Nous aiguillonnerons les sacrificateurs, les momificateurs d’enfants… nous ferons de joyeux fumets… des hommes !… Et notre monde naîtra d’un œuf coloré !

Iris dévoilée, tu viens, tu m’embrasses dans le miroitement des souffles aériens. Tu m’accueilles dans ton giron… Alors, étreins-moi ! Serre-moi fort contre ta poitrine aérienne. Moi, je me laisserai faire, je te le dis, je me laisserai faire ! Parce que j’adore ta voix Iris… je ne résisterai pas… je ne bougerai pas, quand tes lèvres posées sur moi insuffleront leur chaleur dans mes os de toucan. Je ne dirai rien, quand tes mains glisseront sur la courbe de mon phanère. Je me laisserai faire ! Je te le dis ! Chante pour moi… En me caressant le bec… La kératine s’emballe, salive, salive… et toi tu souris toujours… tes doigts d’une douceur infinie sur mon bec qui vibrionne de bonheur… Et nous serons collés, comme les deux faces d’une médaille… La profondeur dans la surface… Ubagu ! Ubagu ! Opacité ! Ensoleillée ! Iris… La salive monte dans mon bec comme la sève dans l’arbre, et ma langue tressaille, je ne tiens plus… Mon œil ensoleillé, ébloui par ta lumière, pleure des larmes aqueuses, glucosées (le sucre avec Rosalia…)… Mon bec lacrymal… coule… le noyau de mon cœur de volatile explose sous tes doigts de fée. Iris, l’irisation de tes dents sur mon bec… c’est fou… C’est ton cœur dans mon cœur… Tu es ma vie maintenant… pour toujours…

Iris, tu me parles en mandarin, et moi je comprends tout… Intuitivement ! Tes yeux de chouette gigantesques sont deux camélias magnifiques, charnus… Je plonge la pointe de mon bec dans les fleurs, et ma langue frissonne de bonheur… ce parfum ! Je pleure, je te jure… c’est trop… ma langue dans tes yeux fleuris, que tu ouvres pour moi… Ma langue s’immisce dans ton œil floral, dans la corolle offerte… Les camélias sauvages ouverts, ouverts… De toucan amoureux, je deviens papillon, et je creuse les sépales, je lèche, je suce comme un fou l’androcée diplostémone… Mon amour lingual, endémie de tes yeux… Iris, je brûle dans tes yeux et toi tu chantes encore… ta voix s’élève, électrise l’air… et ma langue ! De par tes yeux, ta voix s’infuse dans ma langue… Iris… de tes yeux ta voix glisse sur ma langue… Je pleure, je te jure… de cueillir ta voix dans ma BOUCHE. Mes plumes se dressent, hérissées… oui, je frissonne maintenant… comme un hérisson à deux ailes… Il n’y a plus de temps Iris… Il n’y a plus de corps… Nous sommes deux fleurs remuées dans la lumière… Que dis-je, deux fleurs… Nous sommes la lumière qui irradie les nuées… Nous sommes devenus une seule voix, cette vibration invisible qui de concert résonne dans le ciel.

La chouette est une chouette qui est une chouette, qui est une chouette… qui est une chouette… Sa tête tourne en degrés innombrables … Toco est hypnotisé par les tours de frimousse du rapace amoureux. Je vais tenter le diable, oui, en parlant de mon bonheur ! Je n’ai pas besoin d’autrui, ni d’autres autrui… Je sais me faire du bien, seul à l’intérieur de moi-même, et je sais faire entendre une belle musique… Je ne remplirai pas le monde de cris de détresse… Je suis assoiffé de l’intérieur, assoiffé de ce qui brûle SANS IMAGE. Regardez-les sautiller dans la foule… Sautillements de basse-cour… Mémoire attroupée atrophiée… Hystérie en tours de grimaces rougies… Trouble circulatoire ? Jeunesse cataplectique, mi-molle, mi-énervée… Pourquoi avoir si vite oublié la phosphorescence intérieure de l’enfant ? Il vous faut des miroirs fermés à quatre angles droits… Miroirs sans brisures, lisses comme des tombes… des miroirs noirs reproducteurs du même… fermés sur un monde vidé de toute substance… Reproduction des sourires, des yeux, des visages qui se regardent se regarder en train de regarder leur propre regard. Regard sans regard donc… Votre système nerveux périphérique a toujours ce besoin urgent d’orientation nouvelle, au risque de se retourner contre-vous… en cris de détresse, en caprices… Votre perception temporelle ne dépasse pas un présent creux, atonal… cet enfer du même… Et c’est vous-même qui élevez la voix, pour vous faire entendre ? Toco ton présent est multiple… Toco ton présent est fluide, un torrent de liquide volcanique en fusion… Présent infusé dans les parfums émergents… Présent de l’encens en suspension, du tissage des perceptions plurivoques, de la réminiscence lumineuse. Toco, enfant attardé oui, parce qu’attardé dans le présent.

Toco fuit les rassemblements. Toco avance sans revenir. Toco se réfugie à l’abri, DANS le vent. Toco a une longue écoute. Toco trouve le plus du moindre, sans difficulté. Toco est sensible aux signes lents de l’imprévisible. Toco arrive à percevoir le calme à l’intérieur même des machines. Toco conte sans compter… Toco est un timide tardif, andante ! Son hésitation est une manière d’aborder la justesse. Toco est toujours à contretemps. Toco sait que la moindre chose communique avec la totalité du monde. Toco aime les passages, bien plus que les passions vibrionnantes. Toco, oiseau attardé dans l’enfance, oiseau de la terre baptisée « la légère ».

Ah non ! N’allez surtout pas croire que mon toucan est un oiseau intellectuellement supérieur ! Ah non ! C’est un oiseau de phosphore ! Tout se joue dans les maxillaires… et dans ce nerf qui relie la langue, en passant par la zone oculaire, au cerveau. C’est là que le mouvement se décide, c’est là que le désir opère ! Et les vaisseaux sanguins prennent la relève… Le corps est irrigué de désir, luminescent… Irrigation du système nerveux, des membres inférieurs, du bec ! Toco est un être de chair et de phosphore… Il n’a pas besoin de se faire des catalogues d’images, avec repentir, pour remplir le vide de ses après-midi des tropiques… Avec repentir ! Il n’est pas comme ça, lui ! Catalogue de souvenirs de ce que j’ai été, de ce à quoi je ressemble, de ce à quoi je ressemblerai, magie noire du sans-lieu, du sans-moi, du sans-goût, de citation en citation, épingler les papillons morts du temps, macabre manie… momification larvaire… Cocon en putréfaction… Cocon, cocon, ton con corrélé dans les contrées du rêve éveillé, esseulé, saoulé aux fruits d’agaves. Constipation de la temporalité. Toco ne verse pas dans l’hystérie lacrymale, hypocrisie d’un regard qui se gèle… Les demandes de pardon ?… Sourdes elles s’envolent… s’effondrent dans la multitude des attitudes photographiques, multipliées dans des miroirs sans fond… multitude à vue de nez il n’y a pas grand-chose à voir…

Il n’y a pas de place pour toi, ni dans l’hémisphère Nord, ni dans l’hémisphère Sud… Mais pourquoi ? Tu n’as donc aucun amour véritable en toi ? Toucan de malheur, paranoïaque sans cœur, bipolaire des pôles nordiques… En fait, il était un peu bizarre, je vais vous faire une confidence… Il ne comprend rien à rien… Toucan destructeur de cataclysmes… Toucan bonimenteur… schizophrène, binôme farfelu. Nous irons cuire des broches de ce volatile tropical en sirotant un bon thé… Discursives discussions féminines autour de la proie… Est-il escrivain estival ? La nuit de la gorge ? Mon cochon ! Il doit bien savoir s’occuper du con celui-là… Son plumage est très attrayant en tout cas Toucan…

Toco… Toco… tu délires… tu es à côté de la réalité… tu t’inventes un monde de mensonges et de méchanceté, pour éponger ta souffrance… Mensonges, tu crois ? Vraiment ? Mais oui j’invente, je tisse, j’exagère… Carrément je délire ! Mais n’entends-tu pas tout de même, une sorte de musique qui chatouille délicatement le pavillon, les glandes… Qui fait ça ? Aujourd’hui ?… Cette délicatesse ? Et je te jure… je ne souffre pas ! Ou plus ! Ou moins !… Un petit peu moins ?… Non ! Plus du tout, je te dis ! Regarde cette crispation au coin de ma lèvre… c’est un sourire, un beau sourire… Rien de plus ! Rien, rien et rien de plus… Plous ! Un sourire ! Peu importe d’y avoir laissé des plumes, faites-vous-en un couvre-chef ! Une parure… Un monde… Ou un souvenir…

Expérimentale ton introspection… Animale, bestiale, borderline, bordélique, bornée… Salivaire, et tout sauf normée ! Je sors trois minutes, je me jette d’une fenêtre, du troisième étage… besoin de voler, de faire des loopings au-dessus de la colline d’éternité, de lâcher des fientes sur les visages, bombardement, je te crache dessus, je te spolie, je salis… Apparition… Et alors ? N’ai-je pas parlé, tout haut ? Avec le ventre, le cœur… et tout ce qu’on voudra… Je ne fais pas de métaphysique… Non je crois seulement à la métaphysique des organes, cramée au possible… Ma folie, tu n’en connais pas le centième… Et je ne suis pas EXTRÊME… c’est extrêmement condescendant d’en venir à de pareilles extrémités… Où vois-tu la norme, toi, dans cette existence peureuse, qui tremble, qui pleure, selon les saisons, selon les jours ?… Selon une météorologie bien particulière… Égoïste à souhait… Excuses extrêmement ternes… Je ne suis pas une vixctime, je ne xuis pas axcusateur. Auxcours !!!… je ne xai même plus m’exprimer… Mais quexcequi m’arrive ! Et je joue du xylophone ! Expulsion du désexpoir… Tu me désexcites !… Je finirai de toute façon sur une croix, sur un crucifix fixé comme un xérus, que tu nourriras comme ça, du bout des doigts, dans des colorations… cent fois filtrées… Quel beau moment crépusculaire… instantané d’éternité ! Pris sur le vif ! Tu l’as eu ? Cette main tendue, délicate… Xérus assoiffé, prends garde, au fond tu ne sais même pas ce qu’on te donne à manger… Peut-être est-ce un reste de sushi britannique, décongelé…

AU FOND, Iris je ne t’ai jamais oubliée, quand nous passions des nuits blanches, à prendre des avions la nuit, sans ce besoin de parler, AU FOND, j’ai l’impression que mon cœur n’a pas de fond. Nous jouions aux échecs, sur un plateau de verre translucide… la mariée mise à nu, nous faisions l’amour debout… Nous touchions le ciel… Et savoir regarder AU FOND, ça demande du temps… Tout le reste n’est que délire, psychopathologie illuminée… la profondeur dans la surface… Paléontologie de mes os sensibles… Toi seule sais y voir, AU FOND, sans parler, sans forcer les portes… Mariage du dragon… les dragons tortueux, qui sait les voir ? L’essentiel… est énigme… Alors nous pratiquons… la claire lumière… Nous lions, sans utiliser de cordes… La parole conduit au silence, autant en pénétrer le sens… et fermer les yeux, sans fermer les yeux… « Les paroles vraies paraissent paradoxales. » Fermer les yeux, pour y voir AU FOND… à l’intérieur… Otium tentaculaire, fondamental ! Il faut regarder le toucan dans son ensemble, de la pointe du bec jusqu’à l’extrémité desx deux sxerres… oh non… voilà-t-il pas que çxa me reprxend… Maudite langue qui fait des scories verbales… qui refait des sxiennes… Estienne… stupeur du soir, loup des steppes, stéréophonie et double pénétration du soir, espoir de cession, de césure… « Double douleur est plus facile à porter que douleur unique : veux-tu tenter ? »… Adieu trente mille deux cents fois !

Je viens d’allumer trois cigarettes de basilic d’un coup, j’ai le bec long ! Ça me fera trois fois plus d’amis ce soir… Quelle effervescence… tout le monde est de sortie, et les filles se maquillent… Les boissons, les rires, la sueur… On parle toutes les langues ici, et personne ne se comprend… Je vais faire un trou dans l’assistance… À votre bonne santé… les corbeaux vont s’accoupler dans les chambres, à l’abri des regards… Suis-moi, je descends l’escalier, j’ai la croupe qui remue de désir… Le piston va jouer des tours et des tours… Supercherie… Machines célibataires, foi de l’abattoir… Nous allons nous aimer… pour le plaisir…

« …Pour faire à mes pieds un plus doux tap
is, Un tapis d’amour qui palpite et bouge ;
Et puis j’ai souvent une robe verte
Et… je ne sais pas… ces jours-là, j’aime le rouge. »

Moi… je ne sais pas, j’aimais beaucoup le vert ( je l’ai déjà dit, c’est vrai…). Je vais jouer du tuba pour l’assistance… En même temps, tout le monde s’en fout, il y a trop de bruits, de robes, de tatouages, de musiciens qui torturent leurs instruments, j’aurais dû jouer du tromblon, pour éviter les remords, les rancunes… Viser les têtes, faire un carnage de tous les diables… Repeindre le vert en rouge ! De leur sac à main Tuscani, Cinza et Nausica sortent de la drogue à fumer… Les superbes étalons mâliques, les laquais en costumes de croque-mort claquent des dents… On va se connecter mesdemoiselles femelles, on va vous en faire voir de toutes les couleurs… Buvons encore, il n’y a que ça à faire, notre cervelle est brûlée… Fut un temps où l’orgie était religieuse… Ici et maintenant, c’est la cena sans Gargantua, un Bacchus servi au vin d’épicerie… Suis-moi, je descends les escaliers… J’ai trop fumé, j’ai trop bu… j’ai envie de faire autre chose de ma bouche… J’ai les dents rouges, j’ai soif…Nous allons percer les mystères du divin culte… Initiation… Lève le bras ma belle, je vais te lécher les aisselles… Suis-moi, je descends les escaliers… Et pourquoi pas forniquer sur des tombes ? Nous descendions les escaliers d’un caveau ? Oh, miracle, tu ne m’avais pas dit… nous descendions dans les catacombes des Capucins ! Oh mais attends, il pleut ! C’est encore mieux… il pleut dans les catacombes… Ton maquillage coule, c’est encore mieux… ça te donne des airs de vampire… Oh attends j’ai une idée… je vais m’écraser le nez contre un mausolée… Voilà c’est fait, je saigne… je te barbouille le ventre avec mon sang, je peins, je fais des dessins sur ton ventre, je trace des cercles autour de ton nombril… C’est fou, tu ressembles comme ça à la mère UBU… Tourne-toi, je te prends par-derrière, tu n’y as vu que du feu… Piston… Tu ris, il rit, nous rions… Tu ris ? Tu as perdu… Ton masque est tombé, sous les coups de piston… Je n’entends que le hoquet final… La belle tombe morte… Une momie de plus… Autour de nous (bien que tu sois morte), la foule fourmillait par les galeries, et, tout au bout du dernier salon, minuscule, des hommes corbeaux, joueurs d’instruments, stridulaient, comme des grillons dans une boîte.

*

J’aurais tant aimé que mes erreurs ne créent pas de trouble… Le capucin est un singe… mangeur de fleurs, de chenilles… mais nous en reparlerons plus tard… Noir blanc, voisin du toucan dans la canopée… Canopée ! Canne aux pets ! Pets de singe… Peau de zèbre crevé… Saint écorché, Barthélemy ! Massacre ! Je suis monté dans l’arbre, l’arbre que l’on appelle désespoir des singes, l’Araucaria du Chili, j’y suis monté, et je ne voulais plus redescendre… Ils me demandaient tous de descendre… mais non… De venir participer à la fête… mais non… de m’amuser avec eux… de prendre part… mais non…

« Arbre d’ornement original, l’Araucaria fera merveille en sujet isolé sur une pelouse dans les régions les plus clémentes de notre pays. » Sujet isolé… « Il est originaire des pentes volcaniques des Andes péruviennes et chiliennes. » Volcan… du Pérou… ! « Il doit son nom populaire de ‘désespoir des singes’ à ses feuilles triangulaires vert vif imbriquées et très pointues, rendant son ascension impossible par lesdites bestioles. » Ascension impossible. Pour une bestiole comme moi… tu parles ! C’est sans compter sur ma bestialité… C’est bon de te revoir Araucaria… pour faire tourner les tables noires… tu fais tourner les tables noires… et tu fais tourner les têtes… whirlwhirl… OUUHOUU… Fumons les feuilles triangulaires du désespoir, en pleurant comme des singes sans queue ni tête…

Toco singe toucan, tu en as assez entendu, il est temps de s’envoler… définitivement… emporte donc à profusion des fruits secs dans ton bec, on ne sait jamais. Ton œil fixe ne cligne pas une seule fois, tes ailes noires grandes ouvertes, tu quittes l’Araucaria… par la voie des airs… Salut ! Fusée flèche, arc du milieu de notre vie, tendu… Décoche… Tir de missile… Grand sourire… Tout va bien merci… Toucan comète… Je ne veux plus rien entendre…

Singeries de bas étage… Il faut reconnaître quand même que cet oiseau avait du caractère… et puis ce regard de furie. Et cette colère… Regardez-moi ça quand même… Ce sourire à vous ravir le cœur… n’est-il pas mignon ?… Aucune importance direz-vous… oui aucune importance… Les organes tressaillent…Le cœur MÉMORISE… Il y a des détails quand même, qui parlent, et parlent, reparlent… Extase… Organisons une petite fête quand même… cet après-midi… Invitons des amis pour Toco… même pas ?… Mais les amis de mes amis sont mes amis… Et pourquoi pas jouer un peu de musique, de circonstance… Le carnaval des animaux ? Ou la danse macabre… au choix… Invitons oui… des amis masculins de sensibilité sexuelle neutre… Très important… Et l’autre là ?… Tu sais, Taco… Toca… Enfin celui qui n’avait pas l’air bien du tout là, avec ses yeux de singe, on l’inviterait pas un peu… hein, tu crois pas, hein ? hein ? hein ? (rotation des yeux et petit sourire fumeux)… Non ? pas disponible aujourd’hui ? Au fait, tu sais pas j’ai vu une trop belle expo la semaine dernière…

Les nuages sont silencieux… Les nuages sont majestueux, les nuages sont renversants, je te dis… Celui-là a la forme d’un caïman, celui-là d’un alligator, et l’autre là-bas, d’une tortue… Les nuages sont silencieux comme des espèces en voie d’extinction… Les nuages sont légers comme… comme… comme le bouchon de cérumen que l’on vient de t’enlever et que tu avais gardé pendant plusieurs années… Les nuages n’ont pas de bouche… et c’est bien qu’ils n’aient pas de bouche… Ah, les choses sans bouche !

Rosalia petite rose, je ne veux pas te laisser, ton sourire me brûle dans le cœur… Je veux embrasser ton front, encore et encore, et ton visage doré… Parce que je t’adore plus que tout, quand tu souris c’est le ciel qui s’ouvre… et quand tes doigts bougent, seulement quand ils se mettent à bouger, c’est comme s’ils poussaient… Tu es une fleur je te dis… Comme si tes doigts cherchaient un rayon de lumière… Il n’y a plus de nuit dans tes yeux… quand ils s’ouvrent comme deux corolles, deux perles amoureuses… Et quand tu touches mes lèvres… mes cheveux, mes yeux, tu touches mon cœur… Ton âme est une oasis parfumée, ton âme est un feu de forêt, ton âme est une arme blanche pointée sur le monde… ton âme est une danse folle, ton âme et mon âme sont jumelles, joyeuses… complices dans le jeu, dans le crime… Ton âme est violente, cruelle comme la mienne… et ton âme est douce, sincère comme la mienne… Jouons sans fin dans le ciel ouvert. Ton enfance me donne le goût des jours qui ne finissent plus… des nuits parfumées, du sommeil bleu, et des rêves colorés…

Toco n’est pas dans son monde… Toco est définitivement dans le monde. Il veut serrer entre ses ailes tous les cactus de la terre. Il veut boire dans toutes les vagues, de toutes les mers des pôles, des zones tempérées, des zones humides subtropicales aussi… Toco veut respirer tous les parfums du globe, visiter toutes les îles du pacifique sans sourcilier une seule seconde face au vide, à la peur du vide… Toco veut s’élever comme la cime des grands bananiers, Toco veut goûter de tous les fruits… de toutes les racines… Toco veut faire feu de tout bois, et dormir dans des cavernes ensoleillées, un sommeil plein de rêves et d’araignées !

Oiseau, mystérieux féminin, du cœur de cette mystérieuse obscurité, oiseau noyau de nuit, tu croîs, invisible, sans effort. Tu t’oublies toi-même et tu atteins le vivant. Par le détachement tu réalises ta perfection. Ne rivalisant avec personne, tu restes irréprochable. Peut-on purifier le miroir secret, jusqu’à le rendre pur ? Tu rejettes donc toute influence. Tu demeures centré. Rien ni personne ne peut te saisir. Tu sais maintenant maîtriser le présent, muable comme la glace qui peut fondre, obscur comme de l’eau opaque… Tu sais passer doucement du mouvement à l’obscurité. Puis par le mouvement calme à l’action. Tu sais atteindre le silence, et t’en libérer. Plus de confusion. Ta tête est souple. Oiseau, simple et complexe, rien ne suffit à te faire tomber. Tu ne t’enfles pas, aucune piqûre ne pourra te faire éclater ! Tu es fou, et sage, familier et curieux. Chouette à la fois, serpent et cochon ! Rien ni personne ne te fera sourcilier. Ta langue se démêle comme une racine souple et tendre. Ton abdomen est un fruit mûr et solaire. Tu peux maintenant monter et monter et monter… Tu ne demandes jamais… aucun gémissement, tu prends, et tu prends toujours ! Ton âme n’est jamais étriquée, entre le jamais et le toujours… Tu te décides, librement. Tu te portes vers un jour plus clair. Rien ni personne n’épuise la patience de ton cœur. Tu n’avaleras plus les crapauds gras, les remèdes pour pessimistes. Rien ni personne ne bourdonne à ton oreille, doublement vigilant, tu aimes te perdre un long moment, t’accroupir pour rêver, et te séduire toi-même ! Puis revenir à toi… oui, étranger au peuple, tantôt soleil, tantôt nuage… Tu penses toujours comme celui qui vient de toujours, toucan aigle passe-partout, soustrait à la louange, point de tremblement du cœur en toi, mais seulement une ascendance, ton insatiable charbon, ta trajectoire des astres, et qu’importe l’obscurité, la tristesse des parcours, tu as foi en toi-même.

J’ai serré tes doigts Rosa, tes doigts par peur de les perdre, et j’ai écouté ta respiration, à travers ton dos, mon visage posé contre toi, pour recueillir au plus profond de mon être les parcelles d’or irriguées dans ton souffle…

Je ne le ferai pas seul, mes amies, Iris ma chouette, Rosa ma belle enfant… Nous irons tous les trois nager dans l’étang aux fleurs de lotus. Rosa nouera une amitié sincère avec une tortue, tandis que toi, Iris, tu cueilleras des camélias sauvages pour renouveler la couleur de tes yeux. Nous serons fous et heureux, si semblables, à s’y méprendre, à des oiseaux aquatiques.

Je n’ai rien retenu de cette voix qui tremble, qui fait serment en sermonnant tout haut. Sentences, scènes, sirènes… Queue de poisson, pinson à la gorge serrée, tu lis trop vite, tu mâches les mots… Ils éclatent en sanglots dans ta gorge, tu ne les portes pas en toi jusqu’au cœur, jusqu’à l’abdomen ! Moi je respire avec les talons. Mes rêves sont des rêves de rêveur qui rêve ses rêves en étant éveillé. Je n’ai pas de leçon à donner, seulement une vie à vivre, dans la proximité de la distance, dans le proche lointain… discernable, fréquentable… Si j’avais été une jeune fille, j’aurais aimé la féerie des machines éblouissantes à la rétine, mais aussi les ultraviolets, le monde spectral et toutes les manifestations de l’invisible. Je ne vais pas me taire, mon âme avance dans un rayonnement de tous les diables… Je vais siffler, loin de l’hystérie, loin des apitoiements urinaires… Ma poitrine a son évidence ! Sérieusement, je n’ai pas d’orgueil dans la souffrance. Je traverse des arches à l’aurore, je traverse des arches dans les nuits étoilées… Mon aventure a ses tonnerres, et sa flore du grand air !

Rosalia Rosa Rosy, les roses c’est la vie… ta voix est magique… Ton corps est un cirque. Allons charmer les serpents… Rien que pour toi, pour te faire rire, je serai funambule, toujours sur le fil, en déséquilibre prêt à chuter, mais jamais pour de vrai… Crois-moi, je jonglerai avec des singes en feu, j’avalerai des poignées de poignards sans grimacer, je sauterai dans des cerceaux de glace… Clou du spectacle, je me scierai joyeusement la gorge et je brandirai fièrement ma tête face à l’assistance, ma langue récitant de tête les quatre-vingt-un préceptes du Tao Te King, sans ciller !

De Minerve es-tu la chouette, et ainsi de suite… chassant tous les vices, ratissant tous les cerveaux, ou d’Athéna ? Iris irise les iris. Rosa lia les roses. Veux-tu que je te dise, je me suis rendu compte que Rosalia et Iris sont toutes les deux des fleurs. Ma langue est un bouquet, de roses, d’iris mélangés.

Avec Iris nos deux corps se sont serrés de très près, collés comme ça on aurait dit deux grenouilles… C’est comme si nos deux corps sont faits l’un pour l’autre, je vous jure… On s’emboîte, ça va tout seul… Et puis là, nos deux corps n’en forment plus qu’un seul… Et ça dure longtemps en plus, et c’est fou d’être collés comme ça, de ne faire plus qu’un… Et puis je l’ai déjà dit mais j’adore vraiment ses jambes, ça me fait perdre la tête ! À un point ! À ce moment-là, je ne sais même plus comment je m’appelle, ni où, ni qui je suis… Je ne réponds plus de rien ! Ce n’est pas la question de se donner quelque chose, non pas du tout en fait, c’est simplement que l’on fait bloc… que nous ne sommes plus qu’un, Iris et moi… Je ne sais même plus où s’arrête l’extrémité de mon corps… et où commence le sien…Et puis c’est sans parler du temps… vraiment… il ne passe plus ! Ou il ne nous touche plus, je ne sais pas… en tout cas après ça, on a l’impression de revenir d’un long voyage, complètement déboussolé, le corps en fusion… et ces spasmes qui parcourent son dos, ou le mien, je ne sais pas non plus… mais on se sourit comme deux fous après ça… deux fous oui, qui ne se seraient pas revus depuis bien longtemps…

La suite de ce récit en dents de scie, en dents de tigre panthera tigris tigris, panthera tigris altaica (tigre de l’Amour), récit en dents de requin carpette, ou requin-tigre, ou requin aiguillat… la suite de ce récit pourrait se concentrer sur la sexualité du narrateur et d’Iris… Iris retrouvée, Iris arc-en-ciel de mes nuits… Dans l’obscurité je ne vois que son sourire, ses yeux sont noirs, l’iris se fond dans les ténèbres de la chambre nuptiale… On n’y verra que du feu, mais quelquefois (ça saute aux yeux) des nuances circulaires et concentriques apparaissent. Iris nyctalope, je t’embrasse avec toute la force de mon amour, avec la langue aussi, comme une offrande posée sur ta langue, un don, le fruit de la belladone, le bouton noir, la cerise empoisonnée, « la cerise du juif », baiser de Judas ?… non pas trop ça… Bien que le baiser par Giotto m’émeut infiniment… Belladone pour Iris, belle dame, goûte cette herbe empoisonnée… Ta pupille se dilate, et j’entre dans la nuit de tes yeux, comme par une porte, l’entrée d’une caverne mystérieuse… Iris tu louches un peu, effet de la plante, et ça m’excite vraiment… Regard sombre, et ton sourire… Je viens, je viens en toi Iris, tes yeux de biche, c’est fou… Selon Jules Michelet, les sorcières auraient été les seules à savoir utiliser la belladone par voie interne dans du lait, de l’hydromel… mais toi, tu n’as rien d’une sorcière, Iris belladone… Non, pas de sabbat, et aucun délire atropinique… pas de délire psychodysleptique avec toi, mais seulement tes bras et tes mains, et tes jambes qui s’ouvrent, qui me laissent venir en toi… Pas question de brûler, d’hyperthermie ni de prostration du cœur… Cet amour-là est une flamme sans brûlure, et d’une douceur infinie… et qui dure ! La végétation héliophile de ton corps parfumé multiplie les stimuli… Et ça dure, et nous atteignons le plateau, le plateau ! Tiens, tiens Agathe… Ton souffle dans mon oreille, ces phrases, ces mots qui glissent de tes deux lèvres, murmurés, polypnéiques… Oui, nous nous aimons Iris retrouvée, belle fleur de tous les temps, du passé, du futur, mais surtout du présent… Je suis heureux comme un singe capucin, quand tu me prends, quand tu me serres dans tes bras, oui je suis heureux comme un roi… un roi toucan, un aigle royal… Royauté des dieux, parfaite… Iris de mon cœur…

C’est le moment, cent fois… Tirésias me murmure à l’oreille son secret… Testis… je serai donc témoin ! Junon n’en saura rien ! Nous y voilà, ce moment, cent fois décuplé, cette ouverture… si soudaine, visite des limbes, à fond, aveuglé, oui ! comme un serpent ! Polyphonie aveugle… Polyphème ! Non non non… polyradiculonévrite amoureuse, oui oui oui ! Cette vie est devenue infinie… si si je te jure, dans ce va-et-vient je me sens si bien, il n’y a plus de temps, et tu es tellement belle, je n’en crois pas mes oreilles… fini les vieilles peurs, les apitoiements en culture… Le déracinement de force, la psalmodie orgueilleuse des fées… Avec Iris, il n’y a plus de mots, de sympathies insalubres… Iris dévoilée, désir de tes yeux irisés !

La vanité prend tout, dévore… et la ville devient cendres, les corbeaux ricanent haut et fort sur les tours de crânes… La vanité prend tout, comment s’y faire ? Vanité qui détruit tout, coupe, découpe la parole, avec ses inventions des beaux jours, jusqu’à demander de se faire pardonner, pour mieux tuer… outrageuse, ton mensonge de plus… tes mots sonnent faux, à vouloir encercler les esprits dans des boîtes de mensonges… Comment faire face à la vanité, ses canons de voix qui s’abattent en cercles furieux… Ton sourire, tes yeux, la vanité les prend… ta parole, ton innocence, la vanité les prend… ton souffle, jusqu’à des lambeaux de chair… la vanité prend tout, et tourne toutes les fautes à son avantage… Obtenant le pardon d’elle-même, de sa propre bouche atrophiée… il suffit de l’articuler ce mot, pour qu’il s’envole dans l’oubli, comme des hétérocères brûlés sous une lampe.

*

Iris, baise mon front en saccades de baisers, c’est mieux que rien, c’est mieux que tout !… Donne-moi la belladone de tes doigts, du bout des doigts… pendant que nous faisons l’amour nourris-moi… comme on donne à manger au chien ou au toucan, car j’y vois mieux maintenant, la pupille dilatée, cerclée sur les bords par les vagues vertes, les algues iodées du rêve, de la forêt…

Dans mon potager je fais pousser des fleurs de bananier, des palmiers pour les martyrs, des noisettes pour les écureuils… du millet pour les artistes de l’angélus… Ne t’inquiète pas je vais me refaire une santé, cet oiseau va se remplumer… J’ai déjà les bras congestionnés ! Allons chercher les noisettes, ma fillette, Iris, faisons l’amour où tu veux, dans le champ de coquelicots, dans la cabane des pêcheurs de poulpes… Faisons l’amour debout, sur des tapis semi-volants, les mille-et-une-nuits-ce-n’est-pas-fini-de-sitôt avec Toco… Allons caresse-moi dans le sens des plumes… je ne tremble pas, je retiens juste un peu mon souffle… caresse-moi là où tu sais… tu sais, ce que l’on appelle couramment le sacrumilium-ischium-coccyx-sacrum-pubis-etc… J’écarte un peu les cuisses, et c’est affolant… PARALYSIE ! Station immobile-mouvante, tes doigts m’enchantent vraiment… Je suis tendu comme un pare-brise, une centrale nucléaire, un missile ! Effet Joule boule de neige, pylône, flèche, balancier… Il vaudrait mieux reculer… pour ne pas mettre en danger les biens et personnes à proximité…

Les poèmes de libraire sentent des pieds, la rime boursouflée, le nougat ! La brocante littéraire… Horreur culinaire… Toco est un poète du talkie-walkie, OVER, qui ne goûte pas les escargots à l’ail, les cochenilles en farine, les animelles à la sicilienne…

Les corbeaux vont croire que tu renonces Toco, que tu tournes le dos… Mais pas du tout ! Au contraire… un coup de pluie, un coup de piston, et la fleur s’ouvre à nouveau… Avec Iris on se retrouve la nuit… nom de code, camelia sinensis, on se déshabille sans parler… Le ciel est une magie… Mais que j’aime tes jambes !… Je baise les genoux d’Iris, des baisers circulaires… sur des kilomètres… adoration des genoux, sanctification, génuflexion pour les genoux d’Iris déshabillée… Son collier de perles irise les murs de notre repaire. Repaire des oiseaux amoureux forniqueurs et éternels amoureux… Gloire aux yeux de la chouette hospitalière… Il pleut des météorites dehors, nous, nous sommes à l’abri des chasseurs, du braconnage humain… Nous sommes des oiseaux silencieux, des oiseaux clandestins entrelacés dans les heures infinies de notre nuit d’amour… Accord, communauté des esprits… chacun parle comme s’il était l’autre, et ainsi dans l’amour, chacun récupérant l’autre, se récupère lui-même… Toco, Iris, notre Homophrosyne de la nuit dans la caverne, les étoiles dispersées sur les murs, par la réfraction de la lumière de tes yeux fleuris, sur ton collier de perles.

Les jours je ne les vois plus finir… J’aime ces après-midi de pluie, quand les guêpes, pour trouver un abri, viennent visiter ma chambre et tourner autour de mon visage. Elles se glissent dans mes cheveux, je ne peux même pas les photographier, les épingler… C’est la malice des guêpes, je vous dis… Que je vous admire petites guêpes… vos détours sans trajectoire, vol où rien ne se fige, irréductible, oui… irréductible et inconditionné… Vol affranchi, indiscipliné… sa fantaisie insoumise… Fin du carrelage systémique, plat, nauséabond… Toco, prends-en de la graine !

Le poids de toute chose doit être déterminé de nouveau… La lune descend dans la mer ?… Non… pas encore ! Qu’il est stupide de s’en prendre au monde, si le monde n’a pas de cœur ! Mon bonheur ?… Celui de grandir encore, jusqu’à la nuit… Alors je cours, je danse… Mon bonheur ?… La musique, le vent… les roses de la première aurore… Oiseau, ton bonheur bouillonne, jusqu’à effaroucher… tires-en ta fierté… De mille manières tu peux encore bondir… chuchoter en solitaire ! Ton harmonie ?… Fidèle ! En vérité, les âmes incertaines, tu leur en veux à mort… Tu leur donnerais bien des coups de bambou… Mais ne sois pas si sévère… Pars, dans ta musique, pars !… et laisse les ombres d’elles-mêmes s’obscurcir…

De l’esprit-de-sel, pour mon esprit… oui, pour mon esprit… qui s’apaise… Les pulsations… un ralentissement dans la poitrine… Je peux enfin fermer les yeux, sans trembler… les murs font silence… La passerelle… elle est bien là, jetée sur la vie, dans un souffle, un entre-deux infime, un feu de phosphore jamais éteint…

La descente est vertigineuse, d’une vitesse folle… Ton corps est emporté par la vitesse… dans un glissement prodigieux… Le monde, c’est comme si tu sortais de ses gonds… La vitesse dans tes poumons… dans ton système nerveux anesthésié… avalé par la vitesse, la chute… tu deviens molécule en suspension. Tu deviens une bulle souriante… tu es avalé à tambour battant… et tu souris d’être avalé de la sorte… parce que ça n’en finit plus… et tu glisses encore… et encore… et c’est merveilleux… et tu te jures que la mort doit absolument ressembler à ça…

Le volcan ravale sa lave… car tout revient à son point de départ… les coulées se résorbent, remontent les flancs du cratère…

Feignant l’immobilité, le monde n’a pourtant pas cessé de bouger… comme le mouvement est dissimulé en toi dans un statisme apparent, parce qu’incorporé dans une profondeur insondable…

Tout ce qui paraît sombre peut être éclairé par qui sait écouter véritablement… Car la langue fait corps… Et dans son jeu d’enchevêtrements clairs et obscurs, l’effort se concentre, afin d’élucider les liens dissolus dans les fragments, pour en délivrer le sens… Ainsi, l’exégèse sera résolue…

Difficile envers toi-même ? oui… mais seul capable de faire ce pas de côté, de t’écarter du présent dans le présent même ; écart qui rend alors possible le déchiffrement d’un hiéroglyphe…

De toute façon la vérité te renversera… de toute façon… la vérité te renversera… la vérité… te renversera… oh les bons moments… la vérité te renversera… les bons moments… la vérité te renversera… la vérité te renversera…

Je me suis perdu… et c’était une danse… et je continue à danser… et je ferme les yeux… et je danse… comme si le monde s’effondrait, comme si le monde tombait… mon présent est une danse… et personne ne sera blessé… comme si mon monde s’effondrait… comme si le monde tombait en morceaux… et personne ne sera blessé… et je veux tourner… et je ne veux pas m’arrêter de tourner… et le monde s’effondre… et tout est perdu… et ça ne regarde que moi … et je danse… et je me suis perdu… et je danse…

Mon esprit rejoue ces moments à l’infini… j’y suis encore… dans le secret… j’y suis encore… mon esprit rejoue ces moments à l’infini… et son secret… le secret d’un moment… le secret d’une nuit… le secret d’un soir… le secret d’un sourire dans une nuit… mon esprit… et son secret infini… mon esprit rejoue son secret à l’infini…

Fragments du cœur… toujours là… fragments du cœur… inaltérables… fragments… fragments du cœur… fragments… toujours là… toujours inaltérables… fragments inaltérables… fragments inaltérables du cœur… toujours là…

Mon souffle… mon souffle… vertical… mon souffle vertical… vertical… mon souffle… mon souffle vertical… mon souffle vertical… mon souffle vertical… vertical… horizontal… vertical horizontal… mon souffle… vertical… horizontal… mon souffle vertical… mon souffle vertical… horizontal… mon souffle… mon souffle vertical horizontal… mon souffle horizontal… mon souffle horizontal… vertical… mon souffle horizontal vertical… mon souffle horizontal vertical horizontal…

Feuillage, feuillage seulement… feuillage… je laisse faire… j’hérite du feuillage… du feuillage seulement… j’hérite d’inconnu… du feuillage seulement… j’hérite seulement… du feuillage seulement… j’hérite d’inconnu… je laisse faire… je laisse défaire… défaire le feuillage… ouvert aux frissons… seulement… ouvert aux frissons… aux horizons… d’une délicatesse… ouvert aux frissons…

S’il se pouvait qu’ainsi je demeure…

(Dénouement)

FLORAISON SILENCIEUSE, amie, la forme des tes yeux… la forme de tes mains… N’avons nous pas fini de nous lécher les doigts ? Je dis non, et je continue !…

Cet anneau dans tes narines, tu crois qu’il valait mieux ? Comédie, gourmandise avariée… Je sens mon cœur qui fait des siennes… Mais je t’aime mon cœur, moi !… alors ne me fais pas ce coup-là… ce coup de lâche… ce coup en douce… ce coup de grâce ! Dans les bas-fonds de mon âme, ça remue un peu… et puis pour un temps c’est l’accalmie, l’éclaircie… La navigation est donc praticable ? Tant mieux ! J’ai besoin d’un peu de sucre, pour me refaire… Je vais faire l’oiseau maintenant… entraînement, élévations latérales… faisceau moyen des deltoïdes… Tu as vu… dans mes yeux il y a des fleurs ? Mes transformations nocturnes ? Noblesse du caïman, fragilité de la libellule… Les deux à la fois…

Un peu de silence, pendant que je m’adonne à la pein-tu-re ! Je vais peindre une exécution, une peine capitale !… mais très colorée ! Des couleurs acides, des visages saturés et des sourires hallucinés… Ces personnages hauts en couleur fixent le regardeur-voyeur-complice, toutes dents dehors… Voyez comme on s’amuse bien, on le pend, on le brûle !… C’est pas du Mantegna ça, du saint Sébastien… C’est frais fresco… Décapitation dans les déserts rouges et roses, comme des menstrues… mais pas de pleurs s’il vous plaît… Madeleine passe ton chemin… Noli me tangere… Car je m’adonne à la brû-lu-re…

Mais où est le crime, en vérité ? Je vous le demande ! Je veux tout… tout de suite et maintenant ! Je veux ta peau d’écorché, punaisée sur mon mur, comme un joli trophée… Je veux tes cendres dans un bocal translucide, pour les admirer quand je m’ennuie… Même pas des reliques je te dis… non, moins que ça… des souvenirs… Ce n’est pas que je sois contre une pratique de la sexualité… Mais je crois surtout à la sexualité des fées amies… De celle des enfants libres… libres de toute n-égo-ciation des corps adultes… Qu’elle est belle cette sexualité-là !… celle d’un Peter Pan et d’une petite Indienne, cachés en secret dans une caverne, où le rêve s’éternise dans le feu des corps…

C’était un joyeux concert me direz-vous, oui !… les musiciens jouaient des instruments en ossements humains… Percussions ! Marimba osseux… Et tout le monde sautait joyeusement dans la foule… Les zombies de la mort ! Sautez au son des cubitus… Les mandibules claquent, c’est la fièvre des danseurs… La cage thoracique est une harpe merveilleuse… Criez en chœur, jouez du bassin, des cicatrices sans nom ornent mon visage, multipliées par le son des voix, des crânes… Laissez un peu de place pour mon âme en ébullition, pour la nébulisation de mon âme…

Il faut bien comprendre… ce toucan, c’est une sorte de jardin que je cultive… Je prends soin de lui donner forme, de le composer avec goût… C’est un jardin clos. Il est cloisonné… non pour se détacher dangereusement du vivant, mais parce qu’il a besoin, ce jardin-toucan, de s’écarter du langage commun, c’est même l’une des conditions essentielles à son épanouissement… À son développement floral… Les ornements se dessinent… les sauterelles sautent… Mais il y a des parcelles moins herbeuses, plus sèches… comme nous sommes loin des zones marécageuses ! Il y a des ronces, oui, pour tresser des couronnes si vous voulez… Mais sur ces broussailles pousseront bientôt de la myrtille, et des fruits rouges à profusion… Une fois que vous êtes entrés, vous pouvez y progresser comme bon vous semble, et surtout errer… errer parmi les haies, les arbres… Cueillez quelques fruits au passage. Certains auront un goût sucré, euphorisant… d’autres seront plus amers… Mais les feuilles déjà tombées infusent dans la terre humide, préparent un nouveau printemps… Alors, continuez votre chemin non balisé dans mes terres fertiles. Dans ma tête de toucan, les chemins se croisent et se décroisent, et de retour en retour, le temps se multiplie… Fini les lignes droites, les vols sereins… Acceptez les turbulences de la terre… Les volcans sont nécessaires à notre survie ! Il faut bien dégorger les passions du noyau souterrain… Noyaux-graines à semer, pour les âmes futures ! Mon jardin vous accueille…

J’ai des appétits de Moro-sphinx… un papillon de nuit qui vole de jour… Je fais du surplace ? Vous croyez ?… Peut-être… mais regardez tout de même ce joyeux battement d’ailes un peu fou, Toco le Moro !… papillon-mouche-oiseau-fou !… Pour cette troisième partie, Toco devient donc Toco le Moro… Quel beau livre ça va faire !… les toucans, passe encore… mais les lamantins ! Les Moros quoi ? Mais qu’est-ce qu’il veut nous dire au fond ?… Que nous veut-il, avec tous ces croisements d’animaux… c’est invraisemblable !… Des araignées-pieuvres… il est bien sérieux ?… Mais si, mais si… mais… non… non en fait, non… j’ai changé d’avis… Vraiment ?… Vous ne voulez pas sympathiser avec nous ? — Non…

Les feuilles d’orties peuvent être très douces si on caresse délicatement l’envers de la feuille… J’ai passé du temps comme cela, accroupi dans les feuilles, à caresser les orties… Mais pas seulement… la sensitive aussi… le mimosa pudique… Pudique ! J’en fais donc pousser en quantité dans mon jardin-toucan ! Réagissant au moindre effleurement des doigts… La plante se replie. Et ses fleurs, de véritables feux d’artifice miniatures ! Mais prends garde cher visiteur, il ne faut pas tout le temps essayer de la toucher et s’amuser à ouvrir et refermer son feuillage. La plante s’épuise ! Garde donc seulement à l’esprit qu’elle est sensible ! Mais à force de rester le nez collé dans les feuillages, je me retrouve nez à nez… avec un tigre… Un tigre oui ! Dans mon jardin ! Un tigre de l’Amour… L’esprit complètement pris par mes observations botaniques, je n’avais pas vu le jour finir et l’obscurité inonder le ciel… C’est l’heure des esprits, et de la chasse… Mais dans mon jardin, les tigres ne mangent pas de toucan, ils dialoguent volontiers, entre animaux de peu de foi…

Dialogue entre le tigre et le toucan

— TOCO, pourquoi toute cette méchanceté en toi, dans ta bouche. Que vises-tu ?

— Cher ami félin, tu n’as rien compris, mais rien de rien… Il ne s’agit pas de méchanceté… Et je ne vise personne, et surtout pas toi, tigre… Je ne veux pas te blesser… Loin de moi cette idée. Il faut juste que les choses dites prennent de l’épaisseur… et pour cela, il faut du temps, crois-moi…

— Mais n’as-tu pas peur de moi, oiseau ?

Le toucan fixe le tigre sans sourciller :

— Mais pourquoi aurais-je peur de toi ? Rien dans ce jardin ne peut me faire peur, rien ni personne, et surtout pas toi tigre… Car tout ce qui vient de ce jardin vient de moi… Et tes mots, tes paroles, sont mes mots, mes paroles…

Le tigre ouvre de grands yeux et recule :

— Que racontes-tu là toucan ? Alors dans ce cas tu parlerais seul ! Si tu continues à raconter de tels mensonges, je vais finir par te dévorer…

— Tu ne comprends décidément rien à rien, ami félin… Si tu me manges, tu te mangeras toi-même… Et tu disparaîtras pour toujours… Car tout vient de ma parole… Le monde lui-même naît de ma langue. Et tu es toi aussi engendré par cette langue… Les animaux dont tu te nourris, les animaux que tu chasses, les animaux de tes rêves… tous viennent et sortent de ma bouche, ils y sont formulés… Hortus Conclusus, ce jardin est ma parole. Alpha et oméga, ma parole est ce par quoi tout commence, et c’est encore par elle seule que tout finira…

Effrayé, le tigre recule encore, et peu à peu disparaît dans l’obscurité des feuillages… Les sensitives se replient en silence. C’est la nuit sombre, c’est l’heure du sommeil des plantes…

*

Continuons le voyage, tu es bientôt arrivée chez toi, Tiger Lily… On a voulu sauvagement te noyer… Il y a donc une vraie manie chez les adultes, dans cette volonté acharnée de persécuter l’enfance… mais moi je te sauve, et nous passerons la nuit ensemble, je te le dis, loin du danger, loin de la vengeance des adultes ivres et perfides… Tigre Lily, Lili la tigresse, ma fleur encore, j’adore la magie de tes tresses… Je coince le bout de mes doigts dans ta tresse, et nous sommes enchaînés à jamais… pour toujours… Et tu n’as peur de rien avec moi, et tu es bien dans mes bras, mon lys tigré… Ne suis-je pas voyant… un peu ?

Je crois que nous méritons vraiment de nous aimer… Nous aimer oui, car le danger est passé… Dans cette caverne, il y a tes yeux qui dansent dans les flammes, et ton sourire aussi… Personne ne nous trouvera ici… La nuit est à nous. Notre enfance brûle sans fin. Et je t’embrasse de toutes mes forces, et tu m’embrasses de toutes tes forces… Et nous sommes bien ainsi…

Mais tu me dis que nous ne méritons pas l’amour… Mais moi je te réponds, que nous nous sommes rencontrés, et sans nous y attendre… Alors nous ne méritons pas l’amour ? Regarde tout au fond de la mer, il n’y a plus qu’une épave… Et le feu est dans nos yeux… Je veux bien arriver à contrôler ma respiration, avec toi, et ne plus cacher mes cicatrices… Plus jamais… Ne plus cacher ces cicatrices sur mon visage. Tu me verras Lily, comme personne ne m’a jamais vu… les égratignures des ronces, les traces dans les joues, creusées par l’enfance, et les cris… Il n’y a que toi pour me voir véritablement… dans le feu des flammes de notre nuit…

Avec Lily, Toco se sent heureux, ils peuvent ainsi passer des heures ensemble à se parler, des heures aussi sans se parler, à rester en silence, et à seulement être là, en présence de l’autre, à sentir la présence de l’autre, sans paroles ; seule présence qui ouvre du temps… Toco et Lily s’endorment, et rêvent… Peut-être se rencontrent-ils encore dans leur rêve, comme une deuxième vie, ouverte sur une troisième, puis une quatrième, et jusqu’à l’infini… Toco et Lily se racontent leurs rêves. Chacun écoute l’autre… Les mots de Lily sont les mots de Toco… Les mots de Toco sont aussi les mots de Lily… Dans leur caverne secrète, le feu délicat brûle encore… Un vent léger s’engouffre entre les parois, vient effleurer la peau des deux enfants amants. La petite Indienne sourit… et frissonne. Toco la serre dans ses bras, l’embrasse, soulève ses cheveux et dépose un baiser sur sa nuque… Lily frissonne encore, sa peau se pigmente de petits pois, divine paresthésie éphémère, « Ö little Lily, mon petit Lys, que j’aime t’embrasser… embrasser ta peau… poser mes lèvres sur ta peau, comme ça, doucement, tu vois, sur ta nuque encore… c’est là que l’esprit entre dans nos corps, et en sort à notre mort… Ö ma petite fleur je ne veux jamais que nous nous quittions… »

Toco parle encore… « Lily quand je t’embrasse… c’est la résurgence immédiate de toutes les lumières de ma vie, de ses couleurs réunies en un seul instant… Tu éclaires ma vie… Tu me donnes toutes ses couleurs en un seul baiser… Les couleurs de mon enfance… elles sont sur tes lèvres… Lily tu es Rosalia, tu es Iris… tu es toutes les fées de ma vie… »

Toco parle encore… « Lily, j’ai rêvé d’une île, une île où je t’ai cherchée, comme le seul refuge dans cette vie, une lumière dans l’obscurité de mes nuits sans lune… Lily, toi tu m’attendais… tu m’attendais dans un champ de fleur… Tu m’attendais en souriant… Dans les fleurs de cosmos… Oui… Les fleurs de cosmos… Tu m’attendais en souriant… cette nuit sans lune… et tu m’as parlé… et j’ai trouvé refuge… dans ta voix, dans le seul son de ta voix… Ce n’était plus le présent, ni le passé ou l’avenir… non Lily… les temps se sont réunis, pour ne faire qu’un… Ö Lily, dans ton seul sourire… dans ce seul sourire… il n’y avait plus de temps… Le balancier de la plante s’est arrêté… et tu as retenu toutes mes vies dans ce sourire-là… »

Toco parle encore… « Réveille-toi Lily irisée, et sors de ton sommeil… si tu as peur des ombres… des ombres des arbres, je brûlerai la forêt… je brûlerai les arbres pour toi, je réduirai la forêt en cendre… Je creuserai le ciel… Réveille-toi, et n’aie plus peur du monde… Nous ne retiendrons plus les erreurs… Mon cœur explose… Comment te le faire entendre ?… Lily réveille-toi, avant que la vie ne nous transforme en poussière… et que l’été disparaisse avec nous… »

*

Je m’endors soudain, et je ressens comme une émotion qui m’envahit… une lumière vient brûler ma poitrine… Les couleurs tout autour de moi… elles changent, ne sont plus les mêmes… Pourtant je peux les reconnaître… et surtout, et par-dessus tout, ce vert… d’où vient-il, d’où remonte-t-il ? Il me porte, vert humide, acide comme un nuage de chlorophylle, végétal sans substance… mais qui porte bien en lui une charge émotive considérable… Je pleure… je n’arrête plus de pleurer… parce que ce vert je sens que je le connais, mais je n’arrive pourtant pas à savoir… à le reconnaître… à le dire… je n’ai pas les mots pour le dire… mais je le sens… je le sens intimement lié à mon être… et je reste démuni face à la couleur… las de ne pas être capable de nommer, de dire… de seulement dire, ce vert…

C’est le vert d’un silence intérieur… d’une vie qui a son secret, et qui ne veut jamais finir… c’est le vert des visages d’enfants qui ne meurent jamais. C’est le vert d’une main posée sur mes lèvres, sur mes yeux… C’est le vert d’un ciel d’orage, d’une forêt immense et parfumée dans ma poitrine… le vert d’une peau hérissée par un baiser… c’est aussi le vert d’une chevelure aimée… le vert d’un lac où l’eau rejoint le ciel… C’est le vert silencieux de nos sourires et de nos pas… et c’est le vert encore de la mue de l’éphémère, un soir de pluie… c’est le vert de tes lèvres invisibles, et le goût de ton baiser, et sa douceur infinie… C’est le vert, enfin, d’un monde qui n’est plus dans le monde mais qui reste en moi, et qui n’en finit plus de pousser, comme l’herbe pousse en secret. En vert adorable.