les rues sont imbibées d’alcool
mais les caméras ont mouillé nos silex
même le néolithique a l’air moderne
plus personne ne sait faire du feu
à part les nuages
qui crament
#thisisfine
Ü
U
Antitexte : anthropie
Antimonde : AAA
Anti3D : Shalmon & Raholder0909
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les rues sont imbibées d’alcool
mais les caméras ont mouillé nos silex
même le néolithique a l’air moderne
plus personne ne sait faire du feu
à part les nuages
qui crament
#thisisfine
là
on traîne sur le trottoir
en attendant le bus
il fait froid
les arbres tirent un peu la gueule
on est encore mouillé·es
une pellicule de chlore sur la peau
les poumons dilatés que le vent laboure
tout l’iceberg amer
du corps qui vient de nager
ce matin
les fleuves étaient fermés
alors on est allé·es à la piscine
et plus on glandait
sur les dalles blafardes
dans nos maillots en polymère
plus on remarquait
combien les piscines municipales
ressemblent au capitalisme tardif
#swimmingwithsharks
1) il ne faut faire aucun effort
pour flotter dans la piscine
2) on a toustes appris à nager
dès l’enfance
3) il est déconseillé
de courir autour de l’eau
4) ce qui a de la valeur
reste cadenassé aux vestiaires
5) il n’y a pas beaucoup de place
dans les jacuzzis
6) le chlore ne nique pas les yeux
tant qu’on les garde fermés
7) il n’est pas autorisé
d’incendier le bâtiment
là où ce bus nous emmène
l’incendie prendra peut-être
en tout cas
on a enfilé nos k-way ignifuges
#wardrobessentials
on débarque un peu sans prévenir
ça te dérange pas ?
c’était galère de les semer
on n’a pas vraiment eu le choix
on t’a perdu·e de vue
quand les flics nous ont dispersé·es
t’inquiète pas
personne ne nous a vu·es entrer
est-ce qu’on peut passer la soirée chez toi ?
ça fait du bien de s’affaler
dans ton salon étrange
avec son désordre adolescent
son aquarium encrassé
son odeur
moitié kebab
moitié vernis à ongles
ses guirlandes lumineuses
que t’as volées chez Ikea
pour fabriquer un genre de cirque
au coin du canapé
des cadavres de bouteilles
des cadavres de bougies
même le cadavre d’une souris
qu’on croirait plongée
dans un sommeil réparateur
#creepycute
de ta fenêtre
on saisit la ville d’en haut
on réussirait presque
à rebâtir une distance
avec les néons
les trottoirs
les commissariats
au moins une distance intérieure
#skyscraper
l’odeur du guêpier
plane dans la métropole
mais perd de sa terreur
quand elle atteint le cinquième étage
il est rassurant ton appartement
même si on sent bien
que les années sont passées
sans qu’aucune thune ne ruisselle
sur le cocon que t’as construit
les anxiolytiques aussi
ont sculpté ta grotte
d’une croûte de chimie dure
qui s’épaissit avec le temps
c’est la texture amère
que prend la précarité
quand elle se pétrifie
#homedesign
t’es sûr·e que toi ça va ?
t’es arrivé·e y’a longtemps ?
t’as l’air encore un peu sous le choc
viens
on refait une de ces soirées
où on essaie de trouver encore
quelque chose à se raconter
à chaque fois
ça nous fait du bien
#healingjourney
tu le trouves pas étrange
ce concert de voix
qui répondent à l’urgence
en valorisant la complexité ?
en affectant la retenue ?
peut-être
que c’est nous qui vieillissons
nous qui ressentons
plus sensiblement qu’avant
combien pèse sur la nuque
l’injonction à la maturité
à la parcimonie
à la pacification
#wise
tu rigoles
mais est-ce que ce serait
vraiment si insensé
qu’à la sénilité des écosystèmes
en phase terminale
on réponde par la colère
évidente et incendiaire
de l’adolescence ?
#wiser
t’as raison
tout se ressemble
on s’est trompé·es tout à l’heure
on voulait entrer chez toi
mais on a débarqué chez les voisin·es
et on n’a pas su faire la différence
l’univers est misérable et homogène
homogène comme la misère
misérable parce que la marchandise
nous a rendu·es homogènes
#samesamebutdifferent
alors tout d’abord
nique les marchandises
ce qui a une valeur
c’est les histoires
mais ensuite
les histoires
on a du mal à les trouver
tu te souviens
cet après-midi
ce moment face à la foule
t’avais le mégaphone dans les mains
et soudain
plus rien à dire
#findyourpurpose
t’y es pas pour grand-chose
en tant que génération
on n’arrive pas à se raconter
faut qu’on fasse le deuil
de toute parole
absolument commune
faut qu’on lutte chaque jour
contre l’idéal uniforme
d’une paire de cordes vocales partagée
qui ferait vibrer la gorge
de toute la génération
#thevoice
on dit pas ça pour rappeler
que la diversité des opinions
c’est super chouette
depuis à peu près deux cents ans
les dominants répètent en boucle
qu’il faut des points de vue divergents
pour garantir la pluralité
du débat démocratique
#makeup
et
depuis à peu près deux cents ans
les dominants continuent de dominer
alors bon
on va y aller mollo
avec la pluralité
se couper la tête
dans des débats sans fin
c’est devenu une valeur
c’est devenu un jeu
c’est devenu l’équilibre absurde
comme condition de l’agression
toujours reconduite
conclusion locale de l’argumentaire :
la génération démocratisée s’autoguillotine
mais rappel du premier argument :
rêver la monophonie
c’est se crever les yeux
avec le cutter de l’idéalisme
alors déduction semi-générale :
on sait pas vivre les yeux ouverts
sans se couper la tête
#hangover
et là
on amène la conclusion définitive
qui sera notre théorie principale :
partout
c’est la grosse piscine
et tout le monde nage
#poolparty
la parole
qu’on va tenter ensemble
en plein cœur du paradoxe
c’est celle des enfants
de la classe moyenne défaitiste
avec leurs sourires ubérisés
leurs empathies qui défaillent
et leurs suffisances occidentales
#pov
l’histoire qu’on va un peu réécrire
et un peu inventer
c’est celle de la génération extinction
c’est celle de la génération piscine
et à la fin on va rêver un peu
en laissant la parole
à la génération premier degré
c’est comme ça qu’on voudrait vivre
au premier degré
t’as déjà vu quelqu’un
pleurer au second degré ?
#nofilter
#forreal
t’es pas certain·e d’avoir un avenir
c’est une angoisse que tu partages
avec le reste de notre génération
on n’est pas certain·es d’avoir un avenir
on n’est pas certain·es
que des livres d’histoire
parleront un jour de nous
parce qu’on n’est pas certain·es
qu’il reste encore assez d’avenir
pour écrire des livres d’histoire
#soldout
le problème
c’est que ce monde est tout neuf
alors qu’on a encore
le visage de nos parents
chaque matin
on revit
la vieille sensation du cycle
on ouvre les yeux
on sent le soleil
sur nos visages
tout est radieux
tout est à faire
#trusttheprocess
surtout l’été
surtout dans les villes
surtout quand t’as des thunes
surtout quand ta peau
est blanche comme l’insouciance
#blessed
rien
à aucune intersection
d’aucun des cercles
rien
n’a l’air condamné
tout pulse
une énergie
impossible à épuiser
et tout court à l’épuisement
tout court à l’épuisement
parce qu’on existe
c’est le principe actif
d’une angoisse très particulière
la certitude
que sa propre présence est dévastatrice
dans un univers où tout sonne
comme une injonction
à exister plus fort
#monsterenergy
voyage
sois libre
pars à la rencontre de l’autre
découvre qui tu es vraiment
choisis ce plan d’épargne avantageux
pour les moins de vingt-cinq ans
ne doute jamais
de la nécessité
de ta présence
#youonlyliveonce
mais quand on est libre
quand on voyage
quand on s’accomplit soi-même
on devient du territoire plein
et tout autour de nous
crève du manque d’espace
alors chaque été
après une bonne année de taf
on remplit les mêmes plages
pour essayer de faire le vide
#letitgo
toi tu fais comment
quand t’arrives plus
à faire le vide ?
c’est sûr
faudrait qu’on réussisse à imaginer
autre chose que la catastrophe
mais notre génération
n’a plus aucune confiance
en son imagination
la preuve
on n’a plus beaucoup d’ami·es
on n’a même plus d’ami·es imaginaires
#fakenews
interrogé·es par un institut de sondage
60 % des 18-30 ans déclarent
« ne pas avoir de vrai·es ami·es »
à la question
« comment envisagez-vous l’avenir ? »
83 % ont répondu
« on va devoir se débrouiller seul·es »
#lucidity
chez toi
le monde est calme
juste en glandant sur les coussins
ou en errant sur instagram
on atteint par le creux
une simulation
de paix intérieure
#truth
mais on se demande quand même
pourquoi t’as claqué ton salaire
dans ce tapis de course ridicule
#innergrowth
on a ramené des chips
elles sont dans le sac à dos noir
qui traîne près de la table
tu voudrais pas aller chercher
quelque chose à boire ?
depuis la cuisine
un air glacial
s’engouffre dans le salon
c’est la porte du frigo
qui s’est cassée
quand t’as essayé de l’ouvrir
#broke
du frigo béant
le blizzard souffle si fort
que le froid commence
à nous mordre
sous les ongles
doucement
nos mains bleuissent
leur chair se fige
il faudrait allumer la hotte
pour qu’elle aspire
les flocons qui volent
au milieu des poêles
#winterwonderland
le givre se condense
et dessine des glyphes
sur le carrelage de la cuisine
#abstract
on croirait presque entendre
la respiration du gel
on croirait presque
qu’une énergie autonome
anime son expansion
#hauntedhouse
il est lent
il recouvre les murs
il atteint la fenêtre
il opacifie le soleil
quelques minutes à peine
et une neige épaisse
tapisse le parquet
regarde comme les gerçures
ont vallonné nos paumes
regarde nos métacarpes à nu
nos empreintes digitales
illisibles
#nailporn
des stalactites de glace
fixées au plafond
perlent quelques larmes
sur le simili-cuir du canapé
où nous nous blottissons
comme une portée si frêle
que l’hiver lui crevassera les os
le cœur
et tout le désordre intérieur
#petsofinstagram
le sang du rongeur mort
gèle brutalement
et dans les ténèbres
du couloir
on entend quelque chose rugir
#primalfear
pourquoi tu craques
toutes ces allumettes ?
pourquoi tu les avales
quand elles s’apprêtent à mourir ?
#youarewhatyoueat
il n’y a plus rien à faire
juste rester prostré·es
sous les plaids premier prix
et se ronger
les doigts
ou s’en servir
de ses doigts
pour dessiner des formes
sur le cellophane de buée
qui recouvre
toutes les vitres du salon
c’est marrant
à travers les lettres
que tu traces
on devine la ville
qui bruit dehors
t’as vu comme il fait sombre ?
c’est pas normal
on est en plein été
on est en plein jour
mais on va s’y habituer
tu verras
on s’habitue à tout
#winteriscoming
décembre 536
276.67 ppm de CO2
si tu colles bien ton nez
au verre de la paroi
tu verras les reflets
devenir des formes
les immeubles au loin
qui commencent à danser
puis s’effacent
sous un ciel cendre
carrément noir certains jours
même si la lueur du soleil
ne disparaît jamais complètement
on n’est plus au 21e siècle
on est en 536
la tectonique est déchaînée
les volcans des deux hémisphères
vomissent pendant plusieurs mois
une poussière lourde
cimente le ciel
l’atmosphère devient si opaque
que le soleil ne passe plus
la planète entière
recommence sa glaciation
au coin des rues
tapissées de paille
de grêle violente
et d’animaux décagés
tu les entends partout
les prophètes et les serfs
qui annoncent la clôture
du règne humain
partout on murmure
que la lumière s’est éteinte
à jamais
dans ce nouveau monde
la nuit est la règle
et tu dois réapprendre
la mécanique des plantes
réapprendre à te nourrir
en sachant cultiver
ce qui pousse sans soleil
dans le pétrole des villes
dans les nuits absolues
qui couvent les campagnes
contrairement à ce que t’aurais pu croire
l’obscurité est accueillante
les rugissements dans le noir
ont un air presque doux
la terreur primale
disparaît peu à peu
et tu t’habitues
tu verras
on s’habitue à tout
la poussière volcanique
abolit les saisons
cette année-là
il neige
en plein mois d’août
la température des rivières
augmente brutalement
tu t’y baignes avec plaisir
certaines espèces de poissons
disparaissent
d’autres s’adaptent
deviennent translucides
et froides
durant les premiers mois de glaciation
plusieurs émeutes
agitent la planète
les palais se vident
face à l’extinction
on ne comprend plus bien
l’intérêt qu’on trouvait autrefois
à obéir
tout le monde
a emménagé dans la nuit
alors plus personne
ne paie d’impôts
partout sur les lèvres
du vieil ordre politique
juste des gerçures
et la sécheresse du silence
juste des peaux mortes
qui se détachent
avec lenteur
et fertilisent un monde
que tu foules
sereinement
au Japon
durant le printemps 536
un édit impérial
décrète que la nourriture
vaut plus que les perles
en Scandinavie
les gouvernants paniqués
incendient les réserves d’or
pour apaiser leurs dieux
à Byzance
pendant l’hiver de juillet
la noblesse échange ses demeures
contre des charrettes
et part sur les routes
partout sur les lèvres
du vieil ordre de la valeur
le sel de la mutation
érode les chairs
si tu glisses un œil
derrière les remparts à l’abandon
tu verras que les palais
se remplissent à nouveau
d’un monde éclaté
végétal et curieux
qui reprend possession
des salons
des chambres
et des écuries
mais le temps passe
et avec une pointe de tristesse
tu constates que la lumière
perce à nouveau les nuages
le soleil revient
et avec lui les polices
comme toujours
elles vident par la force
les palais occupés
sans pouvoir effacer
qu’autre chose
un bref instant
y a trouvé une forme
les vents finissent
par disperser la cendre
par faire oublier
que les dérèglements de température
ont bien failli abolir l’autorité
et congédier la valeur
la nuit accueillante se dissipe
le soleil trône à nouveau
et les empires s’en sortent
pour le moment
odeur de musc
confort animal
on voudrait encore
rester blotti·es contre toi
pour le moment
on coagule
en un ventre unique
on s’agglomère
autour d’un rêve commun
#comfy
ce rêve
c’est la rupture de l’hibernation
comme le soleil
lèche nos visages
une moiteur nouvelle
mouille nos organes
les rayons gamma rebondissent
sur le parquet couvert de neige
fais attention à ton visage
couvre-le de tes mains
ne laisse pas tes yeux brûler
#enlightenment
tout brille
tout est aveuglant
il est devenu difficile
de faire la différence
entre la totalité du réel
et une barre de néon
#retrofuture
restons infrarouges
c’est trop tôt encore
pour parvenir à penser
les tuyaux des radiateurs
explosés par le gel
pissent dans l’appartement
des jets à haute pression
il faut tenter nos premiers pas
à travers les geysers
tituber ensemble
au moins jusqu’à la cuisine
maintenant
la cafetière est sur le feu
la température monte
#countdown
et on regarde le café brûler
comme on regarde avec indifférence
brûler les pays
où poussent les caféiers
c’est tout l’ordinaire
un malaise après l’autre
qui se reconstruit
#coffeelovers
il n’est pas si tard
l’hibernation aura été
curieusement brève
on a l’impression
d’avoir laissé fondre
des années entières
#timelapse
attention
en réchauffant tes mains
n’approche pas ton pelage des flammes
tu ne l’avais pas vu
ton pelage
chaque centimètre de nos peaux
s’est couvert d’une fourrure épaisse
c’est pour ça qu’on avait chaud
nos organismes réagissent à l’hiver
#furryfriends
on devra prendre soin
de ce manteau confortable
et vu comme il se densifie
il faudra le brosser souvent
#curlyroutine
tu voudrais pas
nous couper les cils ?
ils sont beaucoup trop longs
on pourrait presque
se les ranger derrière l’oreille
regarde-toi dans la fenêtre
t’as l’air d’un animal
mais ça te va bien
t’es même assez photogénique
avec tes lunettes de soleil
debout à contempler la ville
sans quitter ton sourire
de grand mammifère triste
#beautyandthebeast
les radiateurs crevés
continuent de s’épandre
le niveau de l’eau monte
la température grimpe aussi
#countdown
alors on casse
la pointe d’une stalactite
et on la regarde
flotter dans le café noir
un dernier frappuccino
avant l’extinction
#baristalife
le frappuccino à la main
tu as pris l’habitude d’être libre
c’est une routine que tu partages
avec le reste de notre génération
on a pris l’habitude d’être libres
et quand on sait
que l’habitude
est une forme douce et inconsciente
de captivité
c’est là
sans doute
qu’il aurait fallu s’inquiéter
le pouvoir vertical
qu’ont connu nos parents
a creusé le bassin
et installé les chaises longues
où on profite du soleil
#itsatrap
maintenant le bassin est rempli
et le pouvoir vertical
entre dans la phase programmée
de son obsolescence
aujourd’hui
on se marre pas mal
quand on entend
des discours trop écrits
quand on voit les treillis militaires
les hélicoptères ridicules
les robes colorées des magistrats
toute cette ruine d’autorité agonique
qui cherche à rester un spectacle
pour retarder
sa propre disparition
#retromovie
et quand on rit
de ces ruines d’autorité
tout en lignes
en angles droits
en frontispices
quand on se fout de leur gueule
on ne voit pas qu’on nage
une brasse coulée et triste
#trapped
aujourd’hui
le pouvoir est devenu liquide
et on nous a inventé
plein de nouvelles natations
#neverendingstory
alors plus personne
ne sait faire du feu
parce que tout le monde
boit la tasse
à part le soleil
qui incendie les nuages
#cheers
ta transpiration est agressive
elle nous stresse
arrête de courir
sur ce tapis roulant
là tu pues le vieux fauve
qui a trop chassé dehors
et ça colle pas du tout
avec ton sourire idiot
de gosse enfermé·e
tu t’es toujours pas réchauffé·e ?
certains jours on se demande
où tu trouves ces calories
que tu brûles en ligne droite
sans jamais avancer
#cardio
certains jours on sait plus
ce qu’il faut affronter
mais on reste stoïques
et on se bat contre tout
#eyeofthetiger
feu dans toutes les directions
feu sur soi
et feu sur la planète entière
c’est qu’on a déclaré la guerre
au soleil
c’est une course
à qui dévorera la planète
en premier
#competitiveeating
les astronomes
les plus optimistes
estiment que le soleil
consumera notre monde
dans sept milliards d’années
alors
en tant qu’espèce
on accélère
pour y arriver avant
#eventplanner
on est l’outsider
sur un côté du ring
contre la montre
tête dans le guidon
le soleil c’est la force tranquille
il attend que la gravité
amène la terre dans ses bras
pour brûler infiniment
#love
on est légion
on peut cramer la Terre
le soleil est colossal
il doit attendre
et douter
alors c’est vrai
qu’on pourrait s’accorder une pause
regarder l’extinction-soleil
comme une promesse lointaine
vivre avec la mort cosmique
comme horizon tolérable
mais on ne sera plus jamais
capables de faire une pause
longtemps
on s’est couché·es de bonne heure
mais plus maintenant
maintenant on ne dort plus
#spacecake
il y a toujours une bonne raison
de rester éveillé·es
un truc à regarder
un truc qui vient remplir
le tonneau percé
de nos récepteurs dopaminergiques
le pouvoir liquide
nous a rendu·es accros à l’addiction
accros à la quasi-noyade
comme horizon nécessaire
#sunrise
le pouvoir liquide
nous a filé des brassards
juste assez gonflés
pour oublier
l’horizon tolérable
de l’extinction-soleil
le pouvoir liquide
organise sans se presser
notre extinction-piscine
#sunset
débranche le tapis de course
le salon continue de se remplir
l’eau nous arrive aux genoux
et on ne va pas risquer le court-circuit
#interiorlighting
tu sens
comme le sel brûle les lèvres ?
c’est l’iode de nos sueurs
et c’est celle de l’océan
les canalisations explosées
inondent l’appartement
le niveau de l’eau monte
#countdown
on n’aura pas le temps
de plastiquer les fontaines
quitte à finir trempé·es
c’est l’occasion
d’inventer quelque chose
#betterworld
on pourrait se rouler un joint
mais il nous faudrait un siège
un peu plus imperméable
que cette épave de canapé
pour le fumer tranquillement
il y a encore
les matelas gonflables
qu’on avait pris ce matin
en allant à la piscine
parce que les fleuves
étaient fermés
on pourrait aussi
commander des sushis
essayer comme on peut
d’habiter l’inondation
#scubadiving
voilà
là on est bien
on plane sur les matelas
on se laisse rebondir
entre les quatre murs
de ton appartement
on pratique la navigation d’intérieur
et plus la weed
nous bronze le cerveau
plus on rêvasse en crawlant
de la cuisine au salon
et plus la ligne de flottaison grimpe
plus l’appartement
remonte à la surface
le canapé
les plantes artificielles
les bouteilles de shampoing
tout un étrange continent postindustriel
qui dérive en pirate
sans jamais aller bien loin
#wander
regarde
si on se penche un peu
on voit de gros poissons marins
qui nagent
l’air intrigué
autour de ton aquarium
et à travers la fenêtre
qui donnait sur la ville
d’autres poissons
nous regardent regarder
toujours ton aquarium
#metavers
on sonne à la porte
les sushis viennent d’arriver
et ce serait cool de manger
devant quelque chose
#foodgasm
heureusement
la télé flotte
comme un genre de bouée
arrimée au sol
par son câble d’alimentation
elle diffuse en boucle
un documentaire animalier
#wildlifelovers
l’eau va bientôt
atteindre le plafond
et nous écraser contre lui
#dontlookup
touche tes clavicules
juste sous ton pelage
tu sens cette fente inhabituelle ?
ce truc spongieux
et curieusement frais ?
maintenant
on a des branchies
#mermaidsarereal
on peut immerger nos visages
inspirer sans entrave
nos corps filtrent l’oxygène
ils relâchent des chapelets de bulles
on est souples
fluides malgré la fourrure
prêt·es à explorer
le chaos humide
des fonds marins
#underwaterselfie
laisse tes branchies
se gonfler
se vider
comme des siphons
et recommence
recommence encore
nos poitrines respirent
avec l’obstination
de ces poissons migrateurs
qui survivent aux typhons
une pieuvre curieuse
s’approche de la télé
ces eaux sont trop froides
pour ses tentacules fragiles
qui préfèrent se lover
contre la chaleur de l’écran
le rythme des images
change la couleur
de sa peau
même la texture
de son corps
#glitchart
cette odeur de décomposition
qui filtre à travers
la puanteur des algues
c’est le cadavre du rongeur
qui dérive avec nous
il faut qu’on évite
ses tripes humides
ses entrailles mouillées
où habitent les champignons
les bactéries
#viral
de là où on est
on ne voit qu’un corps bouffi
mais dans le secret
de la forgerie moléculaire
le bacille entame sa lutte
elle améliore son logiciel
se divise en séquences
devient une machine
à produire des versions
#update
la salive
lui monte aux lèvres
le dégel
lui rend l’appétit
elle dévore les rayons du soleil
nourrit son empire
de chairs gonflées
jusqu’à installer ses colonies
dans nos cœurs
dans les trois cœurs de la pieuvre
et dans ceux des insectes
#stayhome
novembre 1340
281.07 ppm de CO2
et les insectes infectés
courent sur les rats
qui courent sur les pavés
du jeune 14e siècle
nos matelas ont dérivé
jusque dans les eaux territoriales
du port de Catane
de là où on est
l’agitation du vivant est perceptible
à la quantité de marchandises
qu’il empile
l’échange réinvente sans cesse
de nouvelles manières
de se rendre meurtrier
cette année-là
les flottes marchandes de Gênes
importent en Sicile
quelques rats malades
on n’imagine pas encore
que la peste noire
deviendra « la mort noire »
et tuera
près d’un tiers de l’Europe
alors que les premiers bubons
explosent sur des cadavres italiens
la nouvelle de l’infection se propage
comme une épidémie
et bientôt l’infection
devient pandémie
tout tremble autour de nous
le siècle a la peau qui frissonne
les royaumes réagissent
ils mettent en place
des procédures de quarantaine
bouclent les ports
massacrent les rats
les guérisseurs et les guérisseuses
redoublent de ferveur
pour soigner les maîtres et les maîtresses
depuis leurs territoires glacés
les gouvernances nordiques
croient avoir le temps
elles se préparent
à protéger leurs puissants
de la peste continentale
en Norvège
de nouvelles lois sont édictées
elles interdisent aux paysans et aux paysannes
d’entrer dans les enceintes protégées
on triple le nombre de médecins
affectés au roi et à sa cour
on sécurise les ports
on entame la construction
d’immenses murailles
autour des maisons les plus riches
quand les années 1340 finissent
la peste touche l’Angleterre
quelques mois plus tard
un bateau quitte le port de Londres
en direction du Danemark
avec à son bord
une cargaison de laine
un médecin
un dispositif de quarantaine
et un couple de rats
caché dans la double coque
pendant quelques jours
les rats et les marins
habitent en harmonie
se nourrissent mutuellement
leurs environnements parasitaires
entrent en symbiose
on observe les symptômes
sur un premier marin
qu’on met en quarantaine dans la soute
puis un deuxième
un troisième
très vite
le bateau n’est plus habité
que par deux rats solitaires
qui ignorent tout du pilotage
mais disposent
d’un immense garde-manger
et ils commencent à se reproduire
pour tuer le temps
le navire dérive sur la mer du Nord
pendant plusieurs semaines
il échoue finalement sur la côte
non loin du port de Bergen
au sud de la Norvège
adossé·es à un rocher
quelque part sur la plage
on regarde les jeunes rats
fouler la terre ferme
pour la première fois
de leur courte vie
leurs parents
ont connu cette sensation
avant le déluge
et ils les regardent
tendrement
s’éloigner vers la ville
les noblesses nordiques
ne sont pas prêtes
les rats se moquent
de leurs remparts
la classe possédante
subit de plein fouet la pandémie
80 % de l’élite meurt
les historien·nes les plus optimistes
estiment que la peste noire
a décimé
un quart de la population norvégienne
certain·es disent un tiers
nombre de terres
campagnes
bras de mer
plateaux montagneux
sont laissés sans gouvernance
alors la gouvernance
s’organise d’elle-même
sous le coup de la nécessité
certaines communautés
abolissent le principe de propriété
et le territoire se recompose
on crée des communes
on édicte des lois libertaires
on établit le droit coutumier
de l’allemannsretten
ou « liberté d’errer »
encore en vigueur de nos jours
stipulant que le droit des humains
à bénéficier de la nature
prévaut sur la propriété privée
parmi les nobles qui survivent
beaucoup doivent renoncer
à dominer
l’extinction du peuple
ne permet plus
de lever un impôt suffisant
pour leur épargner le travail
partout dans le pays
les nobles retournent aux champs
mais le temps passe
et tu remarques les bubons
qui s’effacent de tes bras
la peau sous ton pelage
qui retrouve la santé
la bactérie s’éloigne
avec l’air moqueur
d’un volcan qui s’éteint
il suffira de quelques années
pour que le vivant
relance le cycle
de l’accumulation
et de la rareté organisée
quelques années à peine
avant que les nobles
ne retrouvent leurs donjons
à l’abri des pandémies
pour le moment
la télé déconne
encore une latte de joint
litre après litre
l’appartement inondé se vide
et on a un dîner à finir
c’est notre tour de manger
laisse la barquette
voguer sur l’eau
elle finira par croiser
la trajectoire de nos flotteurs
merde
elle dérive vers le couloir
et on est trop défoncé·es
pour rattraper les sushis au saumon
qui remontent le courant
#mainstream
plus le niveau de l’eau baisse
plus on discerne les murs
violemment lézardés
tout le papier peint qui pèle
le monde après le déluge
les dangers du grand large
sont derrière nous
on va bientôt pouvoir
rouvrir la fenêtre
fais attention
ton matelas se dégonfle
il s’est empalé sur les oursins
c’est ça qu’on entend siffler
en retrouvant la terre ferme
nous aussi
on touche le fond
on retrouve un peu
le sens de la gravité
#lifestyle
à sécher nos pelages
en nous secouant comme ça
on a l’air de chiens mouillés
#wetfurryfriends
la marée a emporté l’aquarium
les plantes en plastique
et ta carte d’identité
elle a laissé derrière elle
une étendue grouillante
où nos matelas traînent
comme des épaves
fluos et ridicules
un peu anachroniques
au milieu des ordures
des mollusques égarés
des bouteilles sans message
t’as vu cette canette de coca ?
elle bouge toute seule
sur ton tapis roulant
un bernard-l’hermite
l’a prise pour coquille
#tastethefeeling
c’est le truc le plus drôle
qu’on ait vu de la journée
mais ça laisse
un grand vide à l’intérieur de l’estomac
faut penser à autre chose
l’océan a laissé le salon
en chantier
mais il a l’air plus fertile
le roulis des vagues
a sculpté une caverne
curieusement habitable
#beforehistory
tu te souviens
du jour où t’as réalisé
que l’humain était capable
de rendre un bout du territoire
parfaitement inhabitable ?
nous on s’en souvient
on était enfants
c’était pas vraiment un choc
on l’a métabolisé
comme une évidence
nucléaire
qu’on n’a plus jamais questionnée
#selfbelief
viens t’asseoir avec nous
mais regarde où tu mets les pieds
le plancher capitule
sous la pression des coraux
un jeune couple de crabes
trimballe même son exosquelette
sur ce qu’il reste
de ton tapis
#workout
les larmes te montent aux yeux ?
alors faut fumer
une dernière latte
pleure pas comme ça
regarde les crabes
ils cahotent parmi les ruines
ils nagent dans le bonheur
#urbex
la télé déconne toujours
et ce trou dans ton ventre
plein à craquer
de poisson cru
c’est pas seulement la weed
même quand on n’est pas défoncé·es
la vidéo et la réalité
sont devenues un espace
homogène
à l’intérieur duquel on teste
des scénarios prédéterminés
#boomerang
c’est vrai
qu’on vit encore assez bien
la réduction croissante
de nos palettes émotionnelles
#goodvibesonly
mais quand on en arrive au stade
où tout le film nous indiffère
on sait plus
si on est solides émotionnellement
ou si on est juste devenu·es
des figurines interchangeables
qui tapent des siestes à onze heures
#beautysleep
c’est assez inédit
comme forme de tristesse
l’extinction de l’espèce
la dissipation du réel
solastalgie
ou éco-anxiété
même les psychiatres
ont inventé des mots
pour dire la position foireuse
où on a rangé la psyché
de toute une génération
qui compense le spectacle
de l’autodestruction
par un afflux excessif
de stress prétraumatique
#mindset
si tu nous regardes bien
certains soirs
tu verras juste d’habiles junkies
qui savent se frayer
un chemin cynique
dans la banqueroute générale
de sérotonine
#traderlife
alors quand on se défonce
pour arrêter d’être tristes
et qu’on finit
tristes et défoncé·es
on comprend
que la dépression hivernale
survivra au réchauffement climatique
on comprend
qu’on traînera encore longtemps
dans nos villes de smog
où le concept de non-fumeur
est devenu une abstraction rassurante
attaché·es au mât
malgré le naufrage
la tête juste assez émergée
pour écouter d’autres sirènes
que celles des keufs
#oceansounds
la tête juste assez immergée
pour entendre
les milliers d’injonctions
à devenir soi-même
dans les strictes limites
de la zone industrielle
les générations avant la nôtre
ont décrété
que la métaphysique était vide
et qu’il fallait se battre
pour le réel
#okboomer
notre génération a décrété
que le réel était vide
alors on s’est dépêché·es
de passer des diplômes en communication
pour organiser la mise en langage
du précipice insoutenable
#hashtag
pour oublier que la différence
entre un bureau et une barricade
c’est 90 degrés d’inclinaison
#doityourself
la décomposition des algues
fige un genre de prairie
qui repousse
en touffes herbeuses
jusqu’à recouvrir le plancher
#cottagecore
la plage
prend des allures bucoliques
et l’eau condense
il nous faudrait un linge sec
quelque chose
qui nous couvre le visage
ou au moins les yeux
la fumée est lourde
l’humidité étouffante
elle irrite les branchies
qui nous collent aux clavicules
on dirait un peu
le brouillard lacrymogène
qu’on s’est mangé tout à l’heure
ça y est
on te voit plus du tout
tout est englouti
tout est opaque
#gloomyday
tu nous entends encore ?
essaie de suivre
le son de nos voix
tu sens cette énergie étrange
qui grésille dans ton cou ?
ouvre la bouche
laisse les ultrasons
s’échapper de ta gorge
ils rebondissent sur les murs
ils cartographient l’espace
l’écholocalisation
nous aide à habiter la brume
l’air autour de nous
comme une fine toile tressée
fait vibrer nos Wi-Fi intérieures
ton appartement est minuscule
mais avec les ricochets hertziens
qui nous jaillissent de la bouche
il a l’air immense
#palace
l’intensité des ondes
détaille dans nos cerveaux
les masses
les volumes
et les distances
en d’étranges informations sensibles
qu’on peine encore à décoder
on perçoit presque
les fluides qui sursautent
dans les tuyaux de l’immeuble
et les corps de tes voisin·nes
qui doivent muter aussi
on localise même
une nappe huileuse
cent mètres sous terre
peut-être du pétrole
une fortune endormie
sous les parkings de la ville
#makeitrain
t’entends ?
quelque chose bêle dans le couloir
quelque chose émet de l’amour
quelque chose signale sa position
au reste du troupeau
quand tu nous parles
en émettant des ondes
ta voix a l’air autotunée
t’es devenu·e une star
rupestre et radioactive
piégée dans une machine à fumée
avec les deux pieds dans l’herbe
#greenthumb
on pourrait presque découper
de gros cubes de tourbe
et allumer un feu
au milieu du salon
on sera mieux au chaud
regarde nos reflets
dans la fenêtre couverte de mousse
moitié ovipares
moitié locataires endetté·es
moitié fauves
moitié déchets nucléaires
et puis ouvre-la
la fenêtre
tu sens ce vent chaud ?
il annonce l’orage
alors laisse ton reflet
s’en aller librement
#xoxo
mai 1789
278.57 ppm de CO2
arrête de fixer bêtement l’horizon
et regarde
où tu mets les pieds
les cultures que tu foules
abritent une vie entière
des insectes étranges
qui commencent à transpirer
au nord du continent
les volcans s’éveillent
à nouveau
leur cendre refroidit
et fige la stratosphère
avec un sourire de vacarme
les nuages venus du nord
s’apprêtent à ouvrir
une parenthèse politique
ils entament le grand dérèglement
l’hiver 1787 est trop doux
sans la croûte de gel meurtrière
les nuées de parasites subsistent
s’aventurent vers les pousses
laissent fleurir les mauvaises herbes
l’œil des paysan·nes de France
se teinte d’inquiétude
le printemps s’acharne
plusieurs coups de chaleur
détruisent les blés
les récoltes précoces sont trop faibles
et des millions d’enfants sans bec
raclent la terre
picorent les insectes
on attelle quand même les animaux
quelques charrettes
pour monter à la capitale
quand la campagne
commence à brûler
c’est toujours une bonne idée
de monter à la capitale
sur la route
observe comme tout le territoire
est strié de champs
de forêts domestiques bien alignées
tout le territoire d’Ancien Régime
suit sa propre géométrie
hyperlisible pour les autorités
de sa fenêtre
le regard du roi
embrasse un monde
conçu pour lui
de sa fenêtre
il constitue
la visibilité de ses sujets
mais à l’été 1788
la fenêtre du roi explose
et avec elle
toutes les vitres du palais
les tableaux se trouent
les membres amputés des statues
tombent en silence dans les jardins
comme les jarrets mal anesthésiés
des animaux à l’abattoir
ce n’est pas encore le peuple
c’est un orage de grêle
qui dévaste le pays
regarde où tu mets les pieds
ne marche pas en chaussettes
les 11 749 verrières de Rambouillet
sont en morceaux
après l’orage de grêle
le prix du pain monte
les récoltes de l’année suivante
sont pires encore
pourtant
dans sa lucidité proverbiale
de vieux riche idiot
louis XVI autorise
l’export du blé
et les possédant·es
les plus riches
s’en donnent à cœur joie
à la fin du printemps 1789
les estomacs vides
de blé mort ou vendu
se sont emplis d’insoumission
tout le territoire d’Ancien Régime
est une manifestation du corps royal
derrière la douceur des champs
on voit le gant de dieu
et dans le gant
la main du monarque
intransigeante
quand les récoltes sont bonnes
c’est le roi qu’on acclame
depuis des siècles
le cycle qui fait la vie
et la subsistance commune
dispose d’un garant royal
signifie une autorité rassurante
tout se trouble
puis tout s’effondre
l’orage dans sa grande liberté
pompe ses watts
dans la faim
devient foudre insurrectionnelle
il signe la mort de la sûreté
la nécessité de l’inconnu
l’imprévision
engagée de force
jusqu’à déchirer le cycle
de la répétition politique
même les réchauffements
même les dérèglements
les plus attendus
conservent cette étrange aptitude
à susciter la surprise
à la fin de l’été 1789
Paris brûle
et le sang bleu des nobles
réchauffe enfin la terre
qui cicatrise
pour le moment
on est bientôt
au bout de nos peines
le vent commence
à disperser la brume
mais l’orage plane
#cloudscape
la fenêtre ne ferme plus
on l’entend claquer
presque aussi fort que nos dents
les papillons s’évaporent
les ailes des mouettes
battent sans avancer
le bernard-l’hermite
dans sa canette de coca
s’est envolé comme une feuille
#lonelyboy
les murs commencent à grincer
sous la pression du vent
l’horizon se brouille
un morceau du plafond se décroche
ça y est
on est au cœur de la tempête
comment tu fais
pour rester stoïque ?
toujours barricadé·e
impossible à atteindre
mets-toi à l’abri
l’appartement tout entier valse
ce qui était vissé cède
ce qui était collé tombe
les casseroles s’envolent
de la cuisine au salon
et le contenu des étagères
se fracasse sur le plancher
les jeunes plantes
qui s’installaient
entre les lattes
sont déracinées
tu marches jusqu’à la porte
tu espères t’enfuir
mais en l’ouvrant
tu ouvres à la tempête
qui te repousse violemment
un premier mur grince
sous la pression de l’air
le crépi se décolle
et embarque avec lui
toute l’isolation
tout le ciment que le vent écartèle
comme un agrume dérisoire
#rollercoaster
un autre mur est emporté
éventré plutôt
mais le squelette des parpaings
survit au choc
rejoins-nous sous le canapé
et ferme les yeux
ne rien voir
c’est encore le plus sûr
attendons que ça passe
voilà
on dirait que le vent se calme
on dirait qu’il relâche son étreinte
pour tourner autour du bâtiment
tu peux rouvrir les yeux
lève la tête
il n’y a même plus de toit
tout l’espace est démuré
toute la ville peut nous voir
l’œil du cyclone
nous fixe sans cligner
#dontblink
restons à l’abri sous le canapé
bien au centre de la pièce
le tourbillon aspire nos corps
vers les bords de la plateforme
et plus aucune barrière
ne nous sépare du vide
#mindthegap
on s’écraserait
cinq étages plus bas
assieds-toi
ne marche pas
si près du gouffre
passe une main dans ton dos
tu sens
ces deux moignons infantiles ?
du sang
des plumes
qui percent la fourrure
juste là
entre tes omoplates
tes ailes ne sont pas prêtes
s’il te plaît
reviens vers nous
il nous faudrait un bout de tôle
du plexiglas opaque
du carton
n’importe quoi
tant qu’on peut s’y cacher
construire une forteresse
même éphémère
rester imperceptibles
éviter de s’exposer
pas trop se débattre
#peacefulwarrior
on finit trop souvent
par se débattre
à l’intérieur des murs
qu’on a abattus
#defeatedwarrior
le canapé ne suffit pas
va falloir renverser l’appartement
empiler les étagères
refixer les trucs les uns aux autres
la porte du frigo aux lattes du lit
les volets à ce tableau ignoble
puis étirer encore des tapis
boucher les ouvertures
tendre par-dessus tout ça
le rideau imperméable de ta douche
et on aura un abri décent
en plein cœur du salon
#homesweethome
voilà
on est protégé·es du vent
protégé·es des regards
ça fait du bien
d’être couché·es
contre ton corps
d’écouter les grenouilles
#ASMR
ça fait toujours ça
les pluies violentes
quand on est au chaud
et la nuit
sans douceur
commence à tomber
#seeyoutomorrow
c’est beaucoup mieux
la tempête nous assiège
mais au moins on est protégé·es
des regards de la ville
#blindtest
dans ce gros désordre
qui n’aura plus jamais
une gueule d’appartement
tu ne te sens pas observé·e
c’est un soulagement
que tu partages
avec le reste de notre génération
on ne se sent pas observé·es
#magicmirror
et pour s’assurer
qu’on barbote tranquillement
le pouvoir liquide
s’est trouvé des maîtres-nageurs
avec des capes d’invisibilité
#pottermore
paradoxalement
l’objectif à court terme
c’est toujours d’être visible
les politiques doivent être visibles
les entreprises doivent être visibles
les produits doivent être visibles
être visible est même devenu
un job à part entière
#showyourbeauty
les rois ne voyaient pas grand-chose
quand un peu par hasard
ils attrapaient un·e criminel·le
ils l’affichaient
dans le tonnerre du spectacle
pendaisons dans les champs
écartèlements sur les marchés
décapitations devant le château
les états modernes
sont des entreprises qui ont réussi
alors ils ont pris leurs distances
avec les orages
#waterproof
ils ont caché les corps
tué à l’abri des regards
érigé des prisons
où l’on se sait observé·e
ils ont disséminé
partout et en plein jour
ces petites caméras
noires et sphériques
fondé le contrôle
sur la surveillance
comme feeling
#vintage
maintenant
les cyberpouvoirs
tuent le feeling
l’observation disparaît
alors
soudain angoissé·e
l’observé·e se montre
#showmustgoon
le feeling sous contrainte
ne suffit plus
pour nous dicter notre conduite
on s’est habitué·es à tout voir
habitué·es à être vu·es
on hurle
dans tous les canaux de streaming
pour accéder enfin au silence
à chaque mutation du contrôle
on découvre une nouvelle esquive
une autre manière de voir
une autre manière d’être vu·e
chaque résistance
invente une soumission
mais aucune goutte d’eau
ne fait déborder la piscine
#fiftyshadesofgrey
il doit être à peu près minuit
plus grand-chose ne donne l’heure
tu sais te repérer
avec les étoiles ?
nous non plus
#lost
au moins il reste des clopes
on pourrait s’aventurer
en dehors du refuge
pour en partager une
on voudrait voir un peu
quelle gueule il a
le monde dehors
#openspace
la tempête est partie
le déluge a laissé derrière lui
une bruine diffuse
les grenouilles qu’on entendait
à l’intérieur de l’abri
en fait elles sont des dizaines
elles règnent sans partage
sur nos marécages suspendus
impossible de fumer cette clope
sans marcher dans l’eau
sans écarter ces roseaux
qui nous écorchent les jambes
#neverquit
si t’avais des bottes de pluie
on sauterait dans les flaques
comme les batraciennes créatives
qu’il faudra bien devenir
si on veut continuer
d’habiter ton appartement
c’est absurde
on dit ton appartement
mais c’est plus qu’un rectangle
de béton sans parois
au sommet d’un immeuble
#roomwithaview
une tourbière
de quarante mètres carrés
posée en haut d’une tour
avec une cabane au milieu
devant nous le néant
même les ultrasons que l’on émet
s’égarent dans l’horizon
tant de satellites
que le ciel s’étoile
de lueurs un peu électriques
un peu minérales
quelques goélands viennent cueillir
les grenouilles dissidentes
qui nous sautent entre les jambes
ils doivent nicher pas loin
quand les oiseaux mangent
quand les oiseaux font l’amour
le sol tremble un peu
marche pas aussi près du bord
s’il te plaît
on te l’a déjà dit
tout est glissant
si tu veux t’approcher du vide
accroupis-toi et rampe
nos ailes galèrent à pousser
par contre
nos bouches ont muté
#duckface
d’un coup de langue extensible
ultrarapide et hyperréaliste
on gobe les moustiques
et les mouches
comme les batraciennes créatives
qu’il a bien fallu devenir
voilà
on a dévoré les lucioles
on entend mieux les drones
ils sont devenus
plus faciles à repérer
plus faciles à abattre
#huntingseason
c’est vrai que l’appartement éventré
découpe quatre frontières nettes
mais les limites de la piscine
se sont évaporées
avec les limites du monde
et il n’y a pas de limites
à l’économie de la donnée
parce que le monde
n’a pas de limites
#freemium
depuis environ
la période où on est né·es
le monde a commencé
à produire une copie de lui-même
toujours perfectible
et la copie n’a pas de limites
#follow4follow
le monde a toujours été
un empilement de variables
mais on avait pas encore envisagé
à l’échelle de sapiens
qu’un alignement de nombres
puisse devenir habitable
c’est qu’il n’existe aucun phénomène
qui ne puisse devenir donnée
plus la surface du réel
sera dure à habiter
plus on posera des capteurs
qui peuvent donner la vie
plus il fera bon vivre
à l’intérieur de la copie
#instagood
et comme il faut bien
gérer les données
la totalité des phénomènes
l’ensemble de la vie comme moments
est devenu gérable
#dailyroutine
alors là
c’est la grosse euphorie
c’est la piscine olympique
partout un désir ardent
de devenir un objet
ou juste le reflet d’un objet
sur une paroi du cloud
partout un désir ardent
mais jamais incendiaire
de devenir silicone
#shadows
comme une intuition collective
à se former en gestionnaire
pas pour maîtriser la copie
la copie restera souveraine
juste y collaborer
accéder au bonheur
de construire ensemble
toujours plus de données
bosser en Californie
ou dans les Californies du coin
adopter des algorithmes
comme animaux de compagnie
devenir du même coup
animaux de compagnie
pour algorithmes
#petlovers
tu sais plus comment vivre
sans que tout soit augmenté
c’est une hallucination que tu partages
avec le reste de notre génération
on sait plus comment vivre
sans que tout soit augmenté
mais tu sais
la copie ne flotte pas dans les airs
ses pieds sont en argile
des groupes d’individus
trop mobiles pour être décalqués
pourraient nager entre ses jambes
et remonter chacun des fils
de la grande toile de danger
qu’a tissé l’Occident
apnée entre les câbles
poumons électroniques
cagoules multicolores
et briquets dans les poches
un court-circuit incendiaire
et tout le coton du cloud
fumerait comme la laine
des moutons électriques
#bedtimesstories
un court-circuit incendiaire
et toute la Silicon Valley
exhalerait une douce odeur
de silicium fondu
ça vraiment
ce serait un spectacle
qui mériterait
de devenir une société
#happyending
juin 2019
410.53 ppm de CO2
les goélands de ce fleuve
qui ne s’appelle pas encore la Seine
nichent sur les pierres
dans les herbes hautes
qui peuplent les marécages
des marécages qui nous précèdent
des marécages qui étaient là
cinq mille ans avant notre naissance
de là où ils sont
cinq mille ans avant notre naissance
les goélands voient bien la plaine
le fleuve qui la cisèle
et nourrit toute la horde
la plaine est vide
parfaitement habitable
et des générations d’oiseaux
y appareillent sans entrave
puis la plaine est envahie
les premières habitations
agglutinées le long du fleuve
hébergent des primates innocent·es
qui courent après les lion·nes
et finissent presque toujours
par se faire dévorer
les goélands continuent la chasse
mais leur cœur est lourd
en gaélique
gouelan signifie « pleurer »
quand des foyers
s’allument dans les cabanes
les goélands s’approchent
nichent sur les toits
et gardent leurs œufs au chaud
au fil des siècles
les oiseaux tentent de coexister
déplacent encore leur nid
réinventent la prédation
les cabanes changent de dimension
et les donjons de pierre
érigés sur la plaine
deviennent des perchoirs sans danger
depuis leurs hauteurs fortifiées
les goélands regardent
calmement
les volées de flèches
qui passent en contrebas
les boulets de fonte
qui s’échouent dans le fleuve
tout le grondement des guerres
mutilant la plaine
puis les usines
commencent à fumer
et intoxiquent les oisillons
alors leurs parents trouvent refuge
sous les toits prolétaires
et commencent à théoriser
la fin de la coopération
tout au long du siècle
les balles perdues
tirées sur les manifestant·es
qui occupent les fabriques
explosent par erreur
des œufs innocents
les nids sont encore déplacés
encore reconstruits
toujours temporaires
toujours dérisoires
mais toujours autonomes
et toujours défendus
finalement la capitale commence
à produire une copie d’elle-même
et la copie de la capitale
n’a pas de limites
les opérateurs de la copie
sont les drones de la police
ils commencent
à scanner les carrefours
à filmer les impasses
à déranger l’atmosphère
où habitent les oiseaux
alors toute l’espèce décide
que la paix a trop duré
les goélands comprennent
que les drones s’envolent
d’étranges nids électroniques
lovés dans les commissariats
les drones s’appellent tous Elsa
Engins Légers de Surveillance Aérienne
les goélands ne peuvent pas voir
les télépilotes qui guident Elsa
dans ses vols d’observation
les télépilotes voient tout
mais jamais personne
n’a vu un·e télépilote
Elsa survole les rues
Elsa explore les impasses
fabrique la carte
des meutes actionnées
des agitations sous contrôle
Elsa est légère
c’est dans son nom
elle fluidifie
les régulateurs
aiment déréguler
mais les gestionnaires
détestent la congestion
Elsa décongestionne
alors quelque chose vient toucher
ce qui touchait sans toucher
quelque chose de très énervé
une colère de plumes
les goélands se cachent sous les toits
guettent les drones
et quand une proie passe
s’envolent d’un même élan
le vent porte leurs membres
ils sont plus souples
plus habiles que les engins
leurs becs détruisent les câbles
et leurs pattes arrachent
les ailes ridicules des robots
les goélands organisé·es
ont entrepris méthodiquement
de crever les yeux d’Elsa
de là où t’es
tu ne vois que les chutes
les carcasses en polymère
de fonctionnaires électroniques abattus
que d’autres fonctionnaires ramassent
avec une moue dépitée
et dans le regard
une once de regret budgétaire
quand le matin viendra
Elsa ne rentrera pas au nid
vaincue par les géants
qui l’empêchent de marcher
pour le moment
regarde
encore un drone qui vole
#safari
tu sais
cette résistance ovipare
contre les robots policiers
elle a défrayé les journaux parisiens
pendant quelques mois
mais on a embelli l’histoire
depuis la police a développé
des drones antigoélands
qui diffusent des ultrasons
pour faire fuir les oiseaux
et ça les rend fous
ils n’auront pas le temps de réagir
on peut se raconter ce qu’on veut
l’espèce évolue moins vite
que les dispositifs sécuritaires
#slowmotion
c’est normal
que tu sois fatigué·e
il doit être trois heures du matin
on devrait essayer de dormir
#restless
tu recommences
on t’a déjà demandé
on t’a déjà supplié en fait
de t’éloigner du bord
on sait ce que t’as en tête
on n’a pas envie de le dire
et t’as pas envie d’en parler
mais il va falloir en parler
#voidcore
en tout cas
il va falloir arrêter de se taire
on va plus pouvoir ignorer
ce visage impassible
que t’affiches en permanence
et qui colle pas à la situation
on est désolé·es
on est vraiment désolé·es
tu sais pas quoi dire
ça oui
on peut le comprendre
t’as vu
ces points lumineux là-bas
on dirait des feux de camp
peut-être d’autres meutes
peut-être d’autres appartements
ou d’anciennes maisons bourgeoises
effondrées mais lumineuses
tu penses que les autres
iels ont muté comme nous ?
si tu veux avoir la réponse
il faudrait que demain
tu sois encore parmi nous
t’as vraiment plus assez de curiosité
pour encore une journée sur terre ?
s’il te plaît
te lève pas encore une fois
reste assis·e
peut-être
qu’on n’est pas assez clair·es
ce qu’on voudrait
c’est t’entourer d’un amour
qui nous torde ensemble
et torde avec nous
tout le spectre du réel
#gravity
ce qu’on voudrait
c’est regarder avec toi
le monde au premier degré
on a lu quelque part
même si c’est probablement faux
que 1968 serait l’année
ayant connu
le taux de suicide le plus bas
en Europe occidentale
#motivationalquote
les émeutes rachètent l’avenir
mais c’est pas seulement les émeutes
les émeutes c’est très accessoire
c’est l’espace
pour inventer autre chose
la perspective
de la fin des jours présents
#reset
on voit bien que c’est trop vague
pour gonfler de sens
le réel autour de toi
d’accord
oui tu peux te lever
pardon
on te suppliera plus
on te croit
on te prend au sérieux
on va venir avec toi
s’asseoir tout près du bord
et balancer nos jambes
au-dessus du vide
#onedge
on t’a vu te faire attraper
cet après-midi
au milieu des fumigènes
ça fait un moment
qu’on a compris
la lassitude dans ton visage
ton sursis va sauter
et cette fois
tu vas prendre du ferme
on peut fuir ensemble
on est prêt·es à faire ça
encore quelques heures
et nos ailes auront poussé
#wingsuit
t’es sûr·e ?
si c’est vraiment ce que tu veux
on t’en empêchera pas
on détournera pas les yeux
ça on te le promet
mais on trouve quand même
que tu devrais hésiter plus que ça
est-ce qu’on peut
te serrer contre nous ?
oui on pleure
mais ça tu vas devoir vivre avec
enfin
partir avec
c’est l’image que t’emmèneras
en plongeant dans le vide
#tearsintherain
on peut pas te prendre au sérieux
tout en retenant nos larmes
c’est politiquement incompatible
c’est ça le premier degré
l’impression définitive
de ne plus être en train de jouer
#gamechanger
bien sûr
après 1968
on a redécouvert
les vertus du second degré
comme armure
comme maillot de bain
et depuis
posé·es sur nos matelas gonflables
flottant sans histoire
un soda à la main
on garde nos lunettes de soleil
pour bien fixer
le feu des nuages
#swag
et plus on réalise
la préfabrication générale
plus notre second degré se développe
il y a corrélation des deux courbes
tout nous amuse
tout nous divertit
#lol
même l’histoire
on a du mal
à la prendre au sérieux
elle est devenue
une image-objet
un spectacle-machine
comme le reste
même nos dépressions
même nos burn-outs
on a du mal
à les prendre au sérieux
on les soigne à la plage
on fait des pauses
qui ont le goût du kérosène
on continue à jouer
on joue à s’épuiser
et on soigne l’épuisement
avec les outils des épuiseurs
#workplacewellness
si seulement
on arrivait à faire un break
avec le besoin de faire un break
#haveakitkat
les vieux antagonismes de classes
n’ont pas disparu
ils ont juste été modélisés
dans un jeu vidéo permanent
et comme dans n’importe quel jeu
pour gagner la partie
il faut intérioriser l’algorithme
#actorstudio
notre génération apprend
la grande compétition du monde
en faisant l’expérience des règles
qui gouvernent la piscine
notre génération
apprend que ces règles
sont arbitraires
et sans fondement
qu’on peut les utiliser
avec cynisme et brutalité
pour aller plus loin dans la partie
#workhardplayhard
tout est devenu un jeu
qu’on a trop conscience de jouer
et plus on a conscience de jouer
plus notre second degré se développe
il y a corrélation des deux courbes
on fait semblant
d’être solides
semblant d’en avoir rien à foutre
mais c’est pour survivre
à l’arbitraire
#newskill
là s’ouvre l’ironocène
l’époque du second degré général
reconductible et illimité
dans notre superpiscine
c’est notre superpouvoir :
il n’existe rien
qu’on ne puisse tourner en dérision
#trollface
« vis dans ton monde
joue dans le nôtre »
c’est le slogan qu’ils ont choisi
pour vendre la playstation
mais ils auraient pu choisir
« joue dans ton monde,
vis dans le nôtre »
et tout aurait été parfaitement identique
#whatever
le plus gros défi
de notre génération
c’est de garder son sérieux
c’est de prendre à nouveau
le monde au premier degré
#trynottolaugh
alors c’est vrai que c’est chiant
d’avoir grandi
en détestant nos possibles
mais quand on te voit
marcher vers nous
depuis le bord du précipice
où t’as refusé de sauter
quand on te voit éteindre ta clope là
et sourire
on a envie de pleurer
et cette fois
c’est ni la beuh
ni les lacrymos
c’est vraiment la joie
c’est l’instant
t’as déjà vu quelqu’un
pleurer au second degré ?
#nofilter
#forreal
finalement
on n’aura pas dormi une seconde
le soleil se lève
#welcomeback
tu vois
le monde a changé de gueule
et tu ne tousses plus
les lacrymos ont fini
par déserter ta gorge
#healthy
maintenant
il te faut une bonne douche
juste pour nettoyer
les derniers résidus du gaz irritant
et préparer ton envol
tes ailes ont presque fini de pousser
regarde la ville entamer sa mue
toute la surface du réel
redevenue intéressante
#goldenhour
on dirait bien
que tous les appartements
ont connu le même sort
que celui qui t’appartenait
quand on sera descendu·es en ville
ou envolé·es dans les airs
on ne reconnaîtra jamais le tien
on ne retrouvera plus jamais
le chemin de la maison
#digitalnomad
plus rien n’est spectaculaire
le monde n’est pas effondré
l’humanité n’est pas éteinte
il n’y a qu’Hollywood
pour faire fortune
sur l’apocalypse
sur le spectacle de la fin
et la paralysie du public
tout lutte simplement
pour changer sans trop souffrir
tout lutte simplement
pour réduire la souffrance
c’est la composante
la plus révolutionnaire
du vivant mutilé
c’est le dernier moment
qu’on voudrait partager
qu’on voudrait vivre à tes côtés
juste regarder le monde
au premier degré
sortir de l’obsession
du retournement
prendre au sérieux
la possibilité du retournement
#hashtaghashtag
et sous le soleil de ce matin
c’est plus facile que d’habitude
un truc dans nos membres
qui évacue les toxines
un truc qu’on pourrait appeler
le contraire de la passivité
un truc qui résiste
à l’image de la transformation générale
à l’extinction comme spectacle
#detox
un truc qui aide à envisager
la journée de combat
comme un horizon satisfaisant
tiens
c’est étrange
on croirait entendre
quelqu’un frapper à la porte
#cliffhanger
on a halluciné
il n’y a plus de porte
mais il y a bien une silhouette
qui se découpe
dans la lueur du levant
raide comme une matraque
figée dans ce qu’il reste
de ton appartement
c’est un officier de police
et le flingue à la ceinture
de son uniforme antiémeute
est blanc de calcaire
#ancientstatue
son gros bouclier en plexiglas
est couvert de larves
ses bottes trop lourdes
s’enfoncent dans la tourbière
son uniforme trop serré
peine à contenir
la fourrure épaisse
qui doit lui recouvrir le corps
ces deux croûtes
juste sous ses clavicules
ce sont des branchies
qu’il a grattées jusqu’au sang
impossible de voir ses yeux
jusqu’à ce qu’il ouvre sa visière
libère une flaque d’eau croupie
et quelques algues
qui lui pendent
comme une frange ridicule
du front jusqu’au larynx
à en croire son regard
on dirait presque
qu’il se trouve encore
adapté à la situation
#lame
il brandit devant lui
un bout de papier trempé
pas besoin de s’approcher
il n’y a qu’à voir son sourire
c’est un mandat d’arrestation
il te demande
ta carte d’identité
et tu lui réponds que la marée
l’a emportée très loin
#messageinabottle
même les menottes rouillées
qu’il passe à tes poignets
n’effacent pas ton sourire
du haut de la tour
on te regarde monter
dans la fourgonnette
garée sur le trottoir
de là où on est
on s’en veut de ne rien faire
on voudrait
sauter dans le vide
replier nos jambes
contre nos poitrines
et se laisser tomber
de tout notre poids
#biggersplash
une dernière bombe
dans la piscine
juste éclabousser la gueule
des fonctionnaires cyniques
qui t’emmènent loin de nous
#boom
alors on s’approche du bord
et on décide de le faire
on saute
on replie nos jambes
contre nos poitrines
mais quelques mètres avant
de nous écraser
sur le toit du fourgon
on déploie nos ailes
toi tu lèves la tête vers nous
tu nous regardes planer
tu nous fais signe de la main
et tu sais qu’on se reverra
#cheesy
alors c’est vrai
que c’est toujours pareil
toute l’énergie qu’on met
pour faire tourner le vent
pour changer le sens
du chantier
pour poser quelques infrastructures
qui nous appartiennent vraiment
toute l’énergie qu’on met
à maçonner des entailles
dans l’évidence
tout ça pour finir
avec les yeux rouges
du gaz dans la gorge
et des barreaux à nos fenêtres
ça donne envie de prendre l’air
quand on voit
la douceur du carnage
on n’est pas sûr·es
que ça mérite
de devenir une société
c’est un doute
dont on ne se séparera jamais
avec le reste de notre génération
on n’est pas certain·es
d’avoir un avenir
parce qu’on n’est pas certain·es
d’être à la hauteur
suffisamment sérieux·ses
suffisamment empathiques
pour faire face
pour se sécher les épaules
étendre la nappe sur l’herbe
raviver les braises
mais pour incendier seulement
l’extrémité d’une clope
attendre enfin en paix
la capitulation de la Terre
et l’extinction-soleil
#over