Cénaclières, une première anthologie commentée d’archives réunies par le collectif Nor Do au XXXIe siècle afin de mettre en valeur mille ans d’une histoire littéraire du revers, où s’emboîtent et se succèdent des groupes d’autrices et poétesses depuis le XIXe siècle floral jusqu’aux Skyblogueuses du XXVIe siècle (le travail de Nor Do est ici traduit par Marie-Anaïs Guégan et Romain Lossec).
[WASD/Flèches]: se déplacer
[Espace]: sauter
[Souris]: rotation
[Cliquer sur une image]: afficher un texte
[M]: musique
[Esc]: menu
[Bouton gauche]:
se déplacer
[Bouton droit]:
sauter
[Cliquer sur une image]:
afficher un texte
[Tactile]:
rotation
Cet antilivre est optimisé pour les versions ordinateur récentes de Firefox et de Chrome.
(Certaines lenteurs peuvent apparaître sur d’anciens ordinateurs ou si de nombreux onglets sont ouverts.)
Cet ouvrage est disponible dans de multiples formats.
Antitexte : Nor Do
Antimonde : AAA
« Les chagrinades métaphysiques de Mademoiselle de Restif ou le Féminin en Berne », Amaury Lièvremont, L’Inopportun Satyrique, 1824
Hier dans vos kiosques à journaux : La Ravie de Mademoiselle de Restif ! Les Belles équipées de Mademoiselle Calendula, éditées aux Presses Anonymes de France en 1814, n’avaient visiblement pas suffit à nos chères et tendres rimailleuses dominicales, amatrices de vers fleuris aux effluves de jasmin, de rose et de lessive : il fallait une Marguerite pour nous compter fleurette et votre obligé à lu pour vous les proses florales et féminines de celle qui s’annonce déjà comme la Reine des Chagrinées du pays de France et de Navarre. Mignonne, allons voir si la rose…
[…]
Souvenons-nous enfin que Mademoiselle de Restif ratura, dans un duel fameux d’août 1821, la joue pouponne et rose de Mademoiselle Calendula, qui ne saigna point mais dont on dit le maquillage encore bien abîmé !, et que le motif de ce crêpage était l’ornement floral des poésies d’icelle. Car oui, Messieurs, le souci est un souci ! Et sérieux encore. Marguerite ne supportait pas, disait-on, les bacs à fleurs poétiques de sa rivale et sa pelouse tondue lui faisant grande horreur ! Bref ! Le crime était complet. Mademoiselle Vivien en pâmoison devant le champ de bataille en pleurerait encore si elle n’était point morte dans une drôle de prison.
[…]
Ah comme il est cruel d’être une femme, chantonne-t-elle, des crocus dans la bouche et des soucis au cœur ! Et comme il est cruel de les lire, gueule le coryphée ! Sapporifique prose que celle de La Ravie pleine de lesbiennes tristesses aux pétales fanés. Du Féminin en berne.
Si vous voulez trembler : passez votre chemin. On ne fera rien de toutes ces poésies, sinon du jardinage ou de jolis bouquets.
Des duels de notre siècle, ou de l’influence néfaste de la virile vengeance sur les cénaclières lesbiennes de Paris, Solomonea Calendula, 1831
Dans ce très court pamphlet, Solomonea Calendula dresse en vérité un tombeau pour son amante, Septimea, laquelle fut très regrettablement assassinée par Marguerite de Restif dix ans plus tôt, au cours d’un duel – les deux auteurs étaient pourvues d’armes à feu [chiens de fusil, abeilles / gonflées d’une grosse poudre]. Solomonea intercale, dans ce pamphlet commémoratoire, une élégie sur le “premier sang” [ô découpure, déchirure, plaie ouverte / au flanc des fiancées], ainsi qu’un tableau comparatif des morts violentes d’hommes et de femmes au cours de la décennie. Ce texte composite nous paraît mériter la plus grande attention, en ce qu’il nous rappelle une saine évidence : les femmes ne devraient, dans leur douceur maternelle, jamais se mêler d’histoires où la fierté semble exiger qu’on la répare. En somme : les femmes n’ont rien à faire dans l’arène des lettres.
V. H.
Hanno Winkelhock, « Préface à la réédition de Vastes clairières de Sara Fidelio », La Poésie féminine du XIXe siècle, 1929
La présente édition part de l’évident constat du déficit conceptuel et philosophique de la poésie féminine du XIXe siècle, que nous qualifierons de « poésie florale ». Les éditions précédentes de la poésie féminine étaient presque entièrement dépourvues d’appareil critique et ne pouvait, dans cette mesure même, être lue autrement que comme « jeux poétiques ». Or, si nous ne voulons pas nier l’essentielle dimension ludique d’une telle écriture, qui, contrairement à la grande poésie, découvre dans les marges de la vie de foyer l’occasion d’un divertissement salvateur, nous ne voulons pas non plus caricaturer une écriture qui parvient parfois, par hasard, à exprimer des thématiques chères à notre philosophie universitaire. Que l’on nous comprenne bien : la « poésie florale » féminine du XIXe siècle est presque entièrement aveugle à ces thématiques, parfois cruciales, de notre philosophie et si elle découvre parfois sur sa route certains problèmes métaphysiques profonds, elle ne s’en rend presque jamais compte. À la manière de l’enfant qui, fouillant dans la terre du jardin, exhume un fossile, les femmes, quand elles écrivent, peuvent déterrer quelques concepts clefs sans comprendre ce qu’elles ont dans les mains. Notre édition vise donc à éclairer la poésie féminine du XIXe siècle d’abord pour elle-même.
L’exemple du motif de la fleur de souci chez les femmes qui écrivirent de la poésie au siècle dernier est typique du pressentiment féminin de l’essentiel. Nous nous souvenons, notamment, du duel entre Mademoiselle de Restif et Mademoiselle Calendula qui, au-delà de son caractère ridicule et enfantin, montre bien comme elles pressentaient l’importance du « souci », qu’elles identifiaient certes naïvement à une fleur, mais qui apparaît malgré tout plusieurs fois, comme image, dans la poésie féminine du XIXe siècle.
Le remarquable essai Sein und Zeit de Monsieur Heidegger, édité l’année dernière dans les Annales de philosophie et de recherche phénoménologique de Monsieur Husserl, offre un éclairage stupéfiant sur le sens réel du « souci » qui n’est évidemment pas une fleur, mais bien le fondement même du Dasein en tant que ce dernier est traversé de l’injonction à « avoir à être ». Bien sûr, notre entreprise critique est encore mal comprise et l’on nous reproche une propension à la surinterprétation. Mais, pour clarifier notre position, nous ne considérons pas que Sara Fidelio comprenait ce qu’elle écrivait quand elle notait par exemple dans Vastes clairières qu’elle est « l’étouffée / le souci extirpé ». Ce que nous voulons penser, en revanche, c’est la manière dont les grandes questions de notre philosophie du début du XXe siècle investissaient déjà l’âme du XIXe siècle et cela jusqu’à la pollution discrète du sentiment féminin le plus élémentaire. Nous considérons que la découverte, dans la poésie féminine du XIXe siècle, de questions que travaillent aujourd’hui nos plus grands esprits, montre la réalité des forces métaphysiques en œuvre dans l’esprit collectif, même le moins développé et le plus naïf et c’est l’étude de ce courant souterrain qui nous intéresse ici.
Les Belles équipées, Septimea Calendula, 1814
C’est un champ de fuite.
Elles sont le nom qu’on donne
Aux fleurs. On les appelle –
Souci, On les appelle –
Pensée.
Je fus l’échappée, qu’on a ex-
tirpée, ou le souci bleu.
Qu’on a arraché.
La fleur – ou la pitié. Ce qu’on
Nomme,
[…]
Celle qu’on a nommée.
N’a pas connu la pi-
Tié.
Chacune est le souci qu’on porte
ou le regret.
J’étais première, quand je tremblais.
Et tu l’étais, quand je tremblais.
Et tu tremblais, quand je
tremblais.
La Ravie, Marguerite de Restif, 1824, réédition établie par Maximilienne de Sarrazy, 1980
Dans La Ravie, Marguerite de Restif fait se rencontrer deux de ses obsessions ; les fleurs jaunes, en quantités indécentes, et les lesbiennes. Les lesbiennes couvrent leurs appartements de fleurs, et les fleurs copulent. Dans Lire par les fleurs, j’avais déjà avancé l’hypothèse que Restif exploitait le motif du souci, lequel motif serait une resucée des soucis dépeints dix ans plus tôt par Septimea Calendula dans Les Belles équipées. On croit pouvoir établir avec le plus grand sérieux que, pourtant, Restif n’avait jamais adhéré à l’entreprise de réforme de la littérature par les fleurs de son aînée ; les deux autrices s’étaient battues en duel à ce propos ; elles avaient pour témoins leurs amantes respectives, Marcelle Vivien et Salomonea Calendula. Restif semble avoir survécu au duel, puisque la publication de La Ravie est postérieure à la date, attestée, du duel : le 16 août 1821. Ce n’est, selon moi, pas vraiment un paradoxe : le souci calendulien n’est pas une plante vénéneuse, mais une fleur des champs, relativement simple, associée aux scènes d’enfance et de guérison ; le souci restifien, quant à lui, n’intervient que dans des intérieurs cossus, étouffants et morbides, où il semble venir symboliser la quête éperdue des plaisirs saphiques.
Extrait :
À Paris où elle grandissait, Florentine n’avait jamais rencontré de jeune homme qui lui convînt. Si les jeunes hommes ne lui inspiraient pas grand-chose, les jonquilles, en revanche, et le mimosa, lui inspiraient des bouquets facétieux qu’elle offrait à ses tantes.
Florentine, disaient les tantes, que tu es mignonne. As-tu un amoureux ?
Les tantes étaient sirupeuses, et embrassaient les joues de l’enfant ; puis les joues de l’adolescente ; puis les joues de la très jeune femme.
Florentine découvrit, un jour de marché, les crocus ; et, un jour de promenade, les tournesols qui font des champs immenses aux alentours de Paris. Elle jugea bon d’en cueillir de pleines brassées, qui trouvaient à s’effriter dans les calèches qu’elle louait pour se promener.
Florentine, suivie partout par de longues traînées de pollen ; Florentine, adonnée aux boudoirs et au miel. La jeune fille reconnaissait, dans les miroirs, son visage contrit ; elle pinçait ses joues pour leur donner de la couleur. Elle se parfumait légèrement.
[…]
Je ne suis pas amère, chantonne Florentine en rassemblant des crocus. Au fond, je n’ai jamais été amère. On m’accuse à tort de tous les maux ! et les crocus font des bouquets. Elle en met partout dans la pièce, ouvre les fenêtres, et regarde les toits de la ville. Tout bourgeonne autour du corps de Florentine.
Vastes clairières, Sara Fidelio, 1870
j’étais l’étouffée…
le dernier rameau
d’une fleur sauvage,
comme cette petite tortue qu’on
pilonne, ou qu’on a,
déjà, pilonnée.
un peu de poussière, de l’argile…
dalles qu’on arrache pour
mieux les soulever,
fruit d’un humble partage,
peut-être était-ce trop rêver, car
serrée comme je l’étais,
par le bruit et par la rage…
happée par l’image d’un étrange
naufrage, toute
agrippée aux
rivages… j’étais l’étouffée,
le souci extirpé,
celui qu’on étouffait pour
mieux le soulever, l’humble
trèfle, arraché…
Veillées distantes. La correspondance des Salonnières de Sonniers-en-Belons (1914-1949), édition établie par Ito Shimaz et Nomelia, 2053
Lettre de Reveka Iliescu à Juliette Nadeau, 16 décembre 1924.
Liliane est morte.
Sans doute le sais-tu déjà – qui te l’aura écrit ? Wang ? Christine, peut-être ?
C’est son neveu qui nous a prévenues, toutes les trois. Il triait les papiers de sa tante (tu te souviens qu’elle habitait chez lui, à Balazuc, depuis 1916) ; il est tombé sur nous. D’abord sur Eléna, qui n’écrit plus – il l’a vu aux dates –, puis sur moi. Puis sur vous ; c’est grâce aux enveloppes qu’il nous a prévenues. Il dit ne pas comprendre très bien qui nous sommes, et pourquoi nous continuions de causer, si longtemps après. Il dit aussi qu’il n’a pas su lire ton adresse, et qu’il faut te prévenir.
Enfin, Liliane est morte et c’est dans l’ordre des choses. Son neveu propose de m’envoyer la boîte qui contient toutes nos lettres, mais pour qu’en faire, je ne sais. Je pense que je vais décliner, même si c’est aimable de sa part.
Depuis que j’habite ici, il fait un temps exécrable. Je suis d’humeur maussade – la jeune fille qui s’occupe de moi est partie en claquant la porte ce soir. Peut-être que j’exagère. Comment va Bobby ?
J’ai beaucoup pensé, depuis la mort de Liliane, à ce qu’elle racontait de sa rencontre avec madame Fidelio, tu sais, la petite dame qui lui a servi d’institutrice lorsqu’elle était malade ? c’était, si je me souviens bien, une dame très vieille, presque aveugle, qui nattait ses cheveux tout en haut de son crâne. Elle avait de nombreux tics (je me demande parfois si ce n’était pas le modèle de la Piquée dans le conte de l’abeille jaune). Elle avait écrit, toute seule, toujours seule, des livres qu’elle recopiait à la main en quelques exemplaires, puis qu’elle distribuait à ses élèves pour les cérémonies de remises de prix. C’étaient davantage des brochures que des livres, d’ailleurs, une dizaine de pages tout au plus, qu’elle cousait ensuite d’un fil jaune.
Je ne sais pas si Liliane disait toutes ces choses de madame Fidelio, ou si je les invente – je veux bien croire que la Piquée, c’était elle, « l’étouffée, l’apoplexiée, celle qui hurlait / en silence ».
Pourquoi je te parle de cette femme, elle-même très vieille lorsque notre Liliane n’était encore qu’une très jeune fille ? je n’en sais rien. Une sorte de lassitude, sans doute, et l’impression que les quelques exemplaires copiés à la main par cette femme ont disparu, comme disparaîtront nos contes. J’imagine les plaquettes dispersées dans les tiroirs d’élèves désormais vieux, que leurs enfants videront bientôt pour les brûler. C’est pareil pour nos contes, tu vois comme le neveu a vite fait place nette.
Je t’embrasse,
Reveka
Conte des Deux Vaches, Eléna Moriel, 1915
Avant l’incendie, la grange couvait
Deux vaches, qu’une longe retenait.
À la naissance, César ne voulait pa
S’attacher aux deux bêtes.
Il nomma l’ainée du nom de sa grand-mère
Et la cadette il ne la nomma pas
Et ne l’appelait jamais.
L’une avait un nom et l’autre n’en avait pas.
La nommée meuglait beaucoup et ne dormait jamais.
L’innommée restait muette.
Fluette, la deuxième, était battue, parfois
Par les enfants du coin.
L’autre on ne la touchait pas,
Par respect pour l’aïeule.
L’une était craintive et l’autre ne l’était pas.
La nuit de l’incendie, les deux vaches tirèrent sur la longe
Pour s’échapper des flammes.
Et les murs s’effondrèrent.
La nommée fut tuée.
L’innommée s’échappa.
Au matin, César et les enfants
Dans les champs la cherchèrent.
Ils criaient au hasard mais ne pouvaient l’appeler.
L’innommée vagabondait
Dans la forêt voisine
Ou dans les plaines
Couvertes par la bruine
Et par le vent épais.
Pour n’être pas rossée,
L’innommée se cachait
Dans les sillons de boue,
De fleurs et de rosée.
On ne la trouva pas.
Ce qui n’a pas de nom
Ne s’attache pas aux longes :
On ne le cogne pas.
César mourut froissé
De n’avoir pas gardé
Celle qui avait fui.
Et encore aujourd’hui
On entend dans la nuit
Le bruit des meuglements
De l’innommée qui erre
Par les bois et les champs.
Le conte de la Grange Brûlée, Reveka Iliescu, 1917
La paille est une humble délatrice. Personne n’aurait su
Dire, quand nous partions, que la paille, cette humble
Protectrice, protégerait si mal la chouette des fenaisons.
La solitude est exécrable. Le foin, la fenaison passée, n’a
Même pas su brûler. Tout le vent s’est engouffré par le
Trou d’une horrible béance. La paille est toute gonflée.
J’aime dire que la chouette et le liseron se cramponnent
À l’été, larges fleurs emmêlées, poilues et par brassées,
Ou plumes qu’on arrache pour les brûler : après le feu, les
Châtaignes et la rosée, tout a brûlé. Le liseron, licou serré
Autour d’une fin d’été, a brûlé. Il ne reste des chouettes
Qu’une fine poudre d’osselets. De la paille, cette humble
Délatrice, n’est resté qu’un feu de cheminée. Quatre femmes
En chemise, dorment près du buffet. Le liseron prospère. De
Pleines brassées, comme d’un cratère, sortent par les trous du
Gros buffet. L’enfance rôde autour des os brisés d’un animal,
Replet. La mort rôde. L’enfance est exécrable ; la paille, cette
Mince délatrice, ne sait même plus brûler.
Conte du pommier, Liliane Ancel, 1916
Un soir, au verger, la terre
Est retournée. La barrière
Est couchée. La haie d’ifs
Est courbée. Le sentier
Est désert.
Le jardin est couvert
De pommes croquées,
De branches brisées
De petites pierres.
Qui fait que les pommes tombent ?
Pourrir les pommes,
Noircir les pommes tous les soirs ?
C’est l’homme dans le buisson,
Perche à la main. Le garçonnet
Voleur. L’enfant qui dévore.
Cueillir, disent-ils, ils ne savent pas le faire.
Ils ramassent des cailloux
Qu’ils lancent sur les fruits.
Il faut apprendre, disent-elles, à écouter le bruit
Des pommes dans la paume
Quand on les tourne ainsi (elles tournent),
Quand on les croque ainsi (elles croquent),
Quand on les plante ainsi (elles plantent).
Le Soir des Magiciennes – pyramidologie des cénaclières depuis les Salonnières jusqu’au Cénacle Hypertextuel des Poétesses Tokyoïtes du Septième Réseau, Zainabou Numpuby, 2998
113 [botika makelele]
Cent-treizième bloc
*
« L’innommée restée muette. »
Eléna Moriel, 1932
L’Antique Modernité des Salonnières agite la Conscience Métuniverselle des Magiciennes jusqu’à nos pieds ; vagues de silence, chuchotement, « écoute ! » discrètement murmuré dans l’oreille de nos sœurs restées muettes sous les bombes des Odonomos d’autrefois ou sous la terre des ruines paléocontemporaines du XXe siècle.
Suivons la Pyramide des secrets jusqu’à l’une des voix les plus discrètes des Magiciennes des Temps Anciens : Eléna Moriel.
L’attentive lecture des Fragments Testamentaires de la Poétesse permet de découvrir – soulèvement des voiles d’Isis disent les occidentaux depuis l’émergence de l’héraclit(h)éisme mécompris au Ier millénaire – la véritable nature de la Poésie des Cénaclières telle qu’elle se dit depuis 2000 ans.
Nous nous souvenons de notre étude sur les reines du royaume de Loango matrilinéaire et sur les sorcières de Kinsaha au XXIIe siècle. Rapprochons-nous maintenant des réseaux souterrains de l’alchimie féminine de l’Occident et de ses liens spirituels avec la Métaphysique et l’Occultisme de nos régions.
À la fin des Fragments Testamentaires, Eléna Moriel écrit que « l’innommée reste muette » et fait signe vers la Vérité Secrète du paradoxal message des contes des Salonnières. Paradoxal puisque, reprenant à son compte les leçons socrato-platoniciennes, les Salonnières chantaient et parlaient dans le silence des voûtes de la chapelle de Sonniers-en-Belon, mais n’écrivaient jamais. Les contes n’étaient donc pas, comme la critique le pensait, la transcription du message, mais au contraire son cryptage. « Ce qui se dit est ailleurs » veut nous dire Eléna Moriel.
Bloc supplémentaire à poser sur le pilier d’une Pyramide Immense allant des Premiers Âges Féminins jusqu’au dernier concile de femmes des temples résistants de Tokyo et Brazzaville.
Écoutons dès à présent la Voix qui dans les voix souffle à nos tympans bouchés. Le cent-quatorzième bloc est celui de Septimea Calendula, l’Initiatrice du Deuxième Mouvement (qui est nommé Cénaclières depuis mille ans).
Fragments testamentaires, Eléna Moriel, 1932
Les maux ne cesseront pas pour nous autres avant que ne germent nos discrètes plantations dans la langue. La mort de vieilles femmes ne fait rien. Notre legs est de symboles appareillés sous les dents. Nous sommes les taiseuses sous la voûte d’une chapelle effondrée. De nombreuses petites ratures que nous opérons s’infectent déjà. Notre héritage est de balafres dans le tympan des choses – un soir d’avril avant la guerre, nous nous sommes réunies en une secrète assemblée d’alchimistes et de souffleuses de verre. Il se passa quelque chose.
Des perles, confectionnées avec art et minutie en ces nuits d’avant-guerre, furent serties dans une bague d’encre et de papier. Mais, le monde sonne encore faux – et pour longtemps peut-être – et lire ne sert à rien : il faut frapper la pierre pour écouter dedans ce qui se tait partout. Le la universel n’est pas de pages numérotées.
Si tu nous lis, écoute. Le chemin de la forêt balisé de galets blancs. L’innommée restée muette.
Cénaclières, Ito Shimaz, 2015
Dans Cénaclières, Ito Shimaz condense son travail de thèse ; désormais professeure des universités à Johannesburg, elle enseigne l’histoire littéraire française du XIXe siècle « par son revers », a-t-elle expliqué lors d’un entretien donné à la SABC 1. Elle dit que cette idée lui est venue lorsqu’elle a rencontré, sur les quais de Seine, Jeanne de Sarrasy, la fille de la célèbre critique Maximilienne, qui dans Lire par les fleurs avait tenté une approche des textes floraux respectueuse de leur composition, floral
. La jeune chercheuse retrace pour nous l’histoire des autrices lesbiennes qui, au XIXe siècle, firent salon sans les hommes, et élaborèrent ensemble une science des fleurs proprement littéraire, indécidable, indécodable.
Quand j’ai voyagé en France, Maman m’a dit de m’arrêter sur les quais de Seine. Elle m’a dit que je trouverais le sujet de ma thèse dans les boîtes du quai ; elle m’a dit que je ne devais pas aller dans les bibliothèques ; elle m’a dit que dans les bibliothèques dorées de France je ne trouverais que des bustes d’hommes en perruqu
. Quand Maman avait mon âge, elle s’apprêtait à entreprendre une thèse sur l’image de la jeune fille chez les surréalistes ; elle est venue à Paris, a rencontré une jeune femme française a qui elle a plu ; qui lui a plu. Maman et la jeune femme, entre deux sessions de travail, se promenaient sur les quais. C’est comme ça que Maman a compris que les jeunes filles aussi avaient écrit des choses qui les concernaient. Maman n’était pas naïve, mais cette idée ne l’avait jamais effleuré
. J’ai fait comme Maman, seule toutefois. Je me suis promenée sur les quais longtemps avant de repérer une jeune femme dont les boîtes vertes dégorgeaient de vieux livres. La jeune femme ne m’a pas plu, pas plu du moins comme Maman avait plu à la sienne. Mais elle avait de beaux yeux sombres, et tristes ; comme j’étais triste, avec elle ! Je lui ai parlé de mon problème. Elle m’a demandé quel était le revers de l’histoire littéraire que je souhaitais étudier – toute histoire a son revers, m’a-t-elle dit. La réponse m’est venue tout naturellement. En master, j’avais choisi un cours sur les cénacles. J’avais étudié, avec Monsieur Kagazi, le grenier des Goncourt ; le Cénacle romantique de Hugo. Les cérémoniaux complexes mis en place rue de Rome par Mallarmé, le mardi ; les conseils compassés d’Heredia, le samedi ; et les conseils technicistes de Leconte de Lisle, boulevard des Invalide
. La jeune femme aux yeux sombres a tapoté quelques dos de livres – des dos de livres, oh ! très anciens, cuirassés contre la saison d’automne. Elle semblait réciter, depuis l’intérieur d’elle-même, un savoir profus mais secret. Elle m’a fixée et m’a dit cela : « Ito, revenez dans une semaine, j’aurai ce qu’il vous faut
. Introduction p.
5 Partie I – Le revers des cénacles p.
6 Partie II – Réseaux de fleurs p. 1
6 Partie III – Cénaclières, cénacliers p. 2
0 Au XIXe siècle, selon les essayistes Anthony Glinoer et Vincent Laisney, les cénacles sont la forme de sociabilité littéraire par excellence – la plus répandue, ferment des différents mouvements littéraires du siècle. C’est dans les cénacles que naissent le Romantisme, le Parnasse ou le naturalisme. Les cénacles sont de petits groupes d’écrivains, parfois d’artistes, composés uniquement de créateurs – et de dimensions intimes. Ils sont cimentés par des relations de camaraderie, et sont auto-suffisants en ce qu’ils servent, pour les écrivains qui les hantent, à la fois d’instance de légitimation, de public et de rampe de lancement collective vers l’extérieur. Hugo réunit autour de lui le petit Cénacle romantique, auquel Sainte-Beuve dédie un poème aux tonalités religieuses en 182
. Les cénacles du XIXe siècle sont, en réalité, des boy’s club ; à l’inverse des salons du siècle précédent, souvent présidés par des femmes de la haute société, ils excluent toute présence féminine et relèguent les autrices hors des collectifs d’écrivains dont l’écriture de l’histoire littéraire s’est, par la suite, gargarisé
. Oublier Hugo p. 241
1.a. Imaginer des fleurs p. 241
1.b. Écrire avec Sappho p. 253
1.c. Une autre histoire p. 2
7 Ne pas lire Vigny p. 282
2.a. Des yeux bandés p. 282
2.b. Tierces-librairies p. 286
2.c. Coffiniser, polliniser p. 307
\ Vivre sans Mallarmé p. 315
3.a. Inventer les fleurs p. 315
3.b. Nommer les fleurs p. 328
3.c. Faire pousser les fleurs p. 3
1 Conclusion p. 3
0 Remerciements p. 3
7 Annexes p. 4
Ma vie sur les quais, Magdalena S., 2019
Je suis bouquiniste des quais, c’est-à-dire que je vends des livres qui ont déjà été vendus une fois, ou deux, ou trois. Les livres que je vends sont quelquefois abîmés ; leurs pages sont coupées, ou gondolées par le thé.
On vient me voir du monde entier, parce qu’on espère qu’un livre introuvable partout ailleurs existe dans ma boîte. Je dois dire que mes amies bouquinistes et moi, nous formons un réseau efficace ; si X. cherche le livre Z., je peux être sûr que la bouquiniste Y. le possédera, et si ce n’est pas Y., c’est Z., ou c’est moi.
*
Nous avons toutes reçu nos boîtes des mains d’une riche mécène. Elle nous salarie ; elle nous a garanti salaire et boîte, après sa mort. Madame du C. est mystérieuse. Elle nous a recrutées grâce au fichier national des thèses. Elle cherche, elle cherche de jeunes chercheuses désargentées ; elle cherche, elle cherche de jeunes lectrices avides de textes écrits par d’autres femmes. Ce n’est, pour elle, pas difficile : nous sommes légions, mais les femmes que nous étudions n’intéressent personne. Aucun poste n’est prévu pour nous. Alors Madame du C. nous écrit, un jour – elle est vieille école, et se débrouille pour trouver nos adresses postales –, nous propose une boîte verte, des horaires souples et un salaire généreux.
Quelle jeune doctoresse pour refuser cette offre ? nous n’espérons plus de poste ; au bout de trois ou quatre ans, nous cessons d’espérer. Des postes sont ouverts pour nos jeunes collègues – ils étudient Baudelaire, Hugo ou Villon –, donc nous arrivons, un beau matin, devant la boîte verte. C’est intimidant. Nous nous sommes toutes raconté l’histoire du matin où nous avons ouvert la boîte verte pour la première fois ; nous nous sommes rendu compte que nous utilisions les mêmes mots, et cela nous a remplies de joie.
Je ne dis pas que la tâche est facile. Madame du C. pose quelques conditions qui, je dois le dire, conviennent très bien à son essaim de bouquinistes, mais qui ne sont pas de tout repos.
Nous ne vendons que des livres de femmes.
Nous ne vendons que des livres de femmes, qui ne sont plus édités.
Nous ne vendons ces livres qu’à de bas prix. Nous faisons fi des cours, des collections, du capitalisme des livres ; nous dépareillons les séries, les œuvres complètes.
Nous devons, bien sûr, trouver les livres ; Madame du C. nous met en relation avec d’autres femmes qui lisent des femmes ; ou avec leurs héritiers, quand elles meurent.
Quelquefois, je vois des jeunes gens qui errent sur les quais. J’espère confusément une rencontre, et cela arrive quelquefois. Lorsque je rencontre une jeune femme, je ne ménage pas mes efforts. Je contacte Y., D. et E. ; je contacte W., K. ou L. ; l’une d’entre nous, toujours, trouvera dans sa boîte des livres, qui sembleront du même coup avoir été écrits pour la jeune femme.
Madame du C., quelquefois, nous envoie de longues lettres armoriées, parfumées ; la même lettre pour toutes – nous avons vérifié. Elle dit que nous sommes assoiffées, mais que nous ne sommes pas les seules. Elle dit que beaucoup ont soif et l’ignorent. Elle dit qu’à grands coups de gommes nous effacerons les fondements d’une histoire dont nous sommes l’ornement le plus raffiné, certes, mais le plus inutile. Elle dit qu’il existe un revers à toute histoire, et que nous sommes nombreuses.
Espace-espace-temps - Poésie et méta-poésie dans l’oeuvre de Judith Votler, Nomelia, 2053
Dans son poème fleuve « Zanzibar », Judith Votler développe plusieurs fois le motif du bandage, du pansement et de de la plaie. « Le présent, déclarait-elle dans une interview au magazine Saddish, le présent pour moi est une compresse. » Le passé suinte dans le présent, saigne dans le présent, l’imbibe. Dans L’Éprave, elle identifie le sang menstruel et la plaie, non pas pensée comme coup (plango) ni comme blessure (plêgê), mais comme étendue de mer, de ciel, terrain (plakos). La temporalité cyclique (menstruum : période d’un mois) est de ce fait brisée sans pour autant tomber dans la temporalité linéaire, que Judith Votler ramène à la temporalité « nécessairement critique du patriarcat ». La temporalité menstruelle n’est ni fondée sur la répétition ni sur la progression, mais sur l’exploration (que la métaphore spatiale permet de manifester). C’est ici que s’intègre la critique classique du concept de « règles » qu’opère Judith Votler dans son éditorial du 16 mai 1976. Les « règles » justifient l’idée d’une temporalité régulée parce que cyclique. Or, c’est précisément parce qu’elles sont cycliques qu’elles ne procèdent pas d’une régulation, mais d’une exploration. L’appareil théorique et esthétique que développe la poétesse nous permet de saisir les parties les plus obscures de son travail. La dernière strophe de « Zanzibar », longtemps considérée par la critique académique, et notamment par Henry Delmont, comme une œuvre « déficitaire rythmiquement », « amusicale » et « pseudo-philosophique », vise en fait à construire, par la langue, une temporalité trochoïdale envisagée, par Judith Votler, comme synthèse (c’est-à-dire dépassement) de la temporalité cyclique et de la temporalité linéaire. L’arythmie identifiée par Henry Delmont, selon des poncifs qui sont ceux de la critique académique, est en fait un rythme « trochoïde » (d’où le motif émergeant du « serpentin » dans les trente derniers vers). Ainsi, si le présent est une « compresse sur laquelle le passé saigne encore », ce n’est pas dans le sens de la hantise ou même du retour du refoulé, mais dans le sens d’une continuelle altération du présent par ce qui est passé – altération qui permet d’envisager le temps comme ce « glissement de terrain, subduction, épreuve et épave. »
extrait de Zanzibar, Judith Votler, 1968
Ils essaient de nous réduire au silence
Quand au silence nous grandissons
Quand nos tempes suivent le sentier
Escarpé de notre Littérature
Littérature entre crochets []
Pointilleuses littératures de pointillés
Ils essaient de nous réduire au silence
Quand au silence nous tissons atolls et archipels
Du pays déchronomètre
Où boucle un temps réformé
Nous sommes les Magiciennes des Marges
Sorcières des Zanzibar de la ponctuation
« Qui n’entend plus croit l’autre sourd »
Écrit Maria Sueño l’unique Vraie Muette
Nous sommes les Locataires Perpétuelles
D’une petite chambre de bonne lavée régulièrement
De salive et de lumière
Maria Sueño écrit aussi qu’elle habite
Ce pays d’adverbes et de participes présent
Ce pays de montres brisées
Qui fut nôtre avant d’être vôtre
Et qui autrefois n’était pour personne
Qu’ils essaient de nous réduire
Nous qui vivons chichement de poésie
Et d’une modeste littérature de sifflements
Qui rendent apoplectiques les vieillards
Modeste littérature révolutionnaire
Fabriquée d’un tour de main
Usine des cuisinières de Zanzibar
Au goût de chanvre de vin de miel
Au goût pétrole de ciel urbain
Modeste littérature des supprimées
Nous les Maria Sueño de Zanzibar
Et de Cuba
Essayez de nous réduire au néant
Nous fumons le cigare d’éternité
En écrivant la très modeste poésie
Que seules nous savons faire
C’est parce que nous sommes muettes
Que vous n’écoutez pas
Mais nous avons la voix des brûlis
Et des laves — écoutez
Manifeste Tokyoïte de New-york (extrait), Collectif, Réseau NWC, 2068
Nous
les poétesses tokyoïtes de New-York
assembleuses de poussières irradiées
par nos sœurs nées sous l’X
des radiations nucléaires de la Poésie
qui avaient l’ambition
de l’uranium
combustibles dont nous nous nourrissons
habitant l’Immeuble 133
que nous avons acheté ensemble
Nous
les dix-sept mille poétesses déclarées d’Amérique du Nord
montons à la terrasse supérieure et cueillons
les matériaux d’involution
cultivons des fruits
qui essèment dans le Lointain
le Lointain pays des particules
Nous
déversons nos poèmes
dans la déchetterie d’Amérique
nous ne sommes plus
les perdues les égarées les indécises les hésitantes
mais devenues
les perdues retrouvées
les égarées volontaires
les indécises décidées
les hésitantes malgré tout
Journal, Rachidatou Assou, 10 octobre 2068
Les ramures de l’orme n’offrent pas suffisamment de cachettes pour nous dissimuler des visages de la police et des murmures de nos sœurs. Merde. Ce refuge planté au milieu de l’hideuse mégalopole du réel où Delila et moi vivons et luttons (ce qui n’est pas exactement similaire contrairement à ce que certain.es pensent) déforme ma perception et me pousse à confondre les agresseurs et les agressées. Merde. Comment savoir faire le distinguo entre deux ombres ? Il est minuit passé et les quelques lampadaires d’Umpire Rock, souillés des derniers papillons de la Création (nous avons fait cramer tous les autres insectes au grill), ne me permettent pas de savoir si ce sont les miennes ou si ce sont les autres qui patrouillent autour de notre campement sylvestre. Esse est percipi, n’est-ce pas Georges (je parle à Georges Berkeley, cet évêque immatérialiste que Delila connait dans le texte quand nous nous emmerdons) ? Delila dort depuis deux heures. Je ne sais pas dormir comme Delila. Ni rêver. Ce n’est pas grave. Je prépare des tactiques dans l’éventualité d’une attaque. Si les silhouettes qui orbitent autour de notre domaine sont bien des policiers, alors il faudra défendre notre maison, « cultiver notre jardin », jeter des déchets sur la gueule patibulaire des flics (je suis injuste, la plupart n’ont pas de « gueule patibulaire », mais seulement une tête plate et parfaitement civilisée). Les bombes à merde que nous préparons avec Delila depuis trois jours ne pourront pas, il faut l’admettre, empêcher l’accès à notre étage, mais elles auront le mérite de nous faire rire et les sœurs avec. Revanche de la zôê. C’est notre différence. Nous, les sœurs, savons regarder la nature dans les yeux. Je veux dire qu’elle existe, la nature. Les normes qui nous conduisent à la lutte, elles, c’est autre chose, elles manquent de réalité – et contre ce déficit, deux solutions s’imposent : ou écrire ou frapper. Notre choix est fait (que crois-tu que nous fassions ?).
Étude des mauvaises filles de l’orme de Central Park, Delila Hill, 2068
Il y a Rach et moi
qui fabriquons des bombes temps infini
négociation avec le monde Il y a moi
à la tombée du soir qui récite
le seul poème que je connais Hettie Jones
le seul poème connu
Il y a le flic du VVD l’allée vide
que les journalistes traversent
en marchant sur les feuilles les lampes
frappent les branches hautes
comme de vieux sortilèges
alors que la nuit s’enroule que le chat
d’une mercerie de Garment égaré pareil
à nous dans ce parc où il ne vient jamais
où il ne chasse pas
griffe les bottes de l’agent
pisse sur notre tronc d’arbre pour marquer
qu’il est passé ici repart
avec la lune sur le dos feulant contre la pluie
laiteuse de la nuit
Histoire des Cénaclières Internationales (2035 – 2097), Andrea Josto-Valod, 2101
La fondation du Cercle des Poétesses Tokyoïtes de New-York (CPTNY) en 2053 par Mawatari Sayoko est un moment crucial dans l’édification du Cénacle Féministe International qu’avait espéré, dès 2039, le Réseau des Poétesses de Tokyo (RPT) sous l’impulsion de Kamiya Sayoko, sœur de Mawatari. La mort prématurée, durant les terribles évènements de 42, de celle qui était considérée à l’époque comme l’une des poétesses les plus importantes de Tokyo a conduit non seulement au renforcement de l’unité du RPT, mais aussi à la formation de cénacles féministes dans nombres de grandes capitales. Nouakchott en 2043, Niamey en 2045, Paris en 2051 et donc New-York en 2053.
Mawatari Sayoko, en exil après le décès de sa sœur, trouve refuge à New-York où, très vite, elle met en place un réseau de poétesses, chercheuses et restauratrices new-yorkaises. Ce réseau, qui prend rapidement une ampleur nationale et même internationale avec la publication de la revue NWC (New – Women – Cenacle), lève des fonds dans tout le pays et parvient à acheter l’immeuble du 133 5th Avenue où le CPTNY s’implante le 6 avril 2060.
[…]
C’est le 11 septembre 2068, après la publication, le 24 août du Manifeste Tokyoïte de New-york, que Maria Dos Sueño, poétesse issue du Groupe des Votlérianes, est assassinée en prison par les membres de la branche nord-américaine du VVD. Sa mort déclenche un important mouvement de protestation des cénaclières du CPTNY, résidentes du 133 de la 5e avenue. De nombreux défilés et sessions de peintures sauvages sont organisées. Sonia Hill construit, avec l’aide de Mawatari Sayoko, une « exposition olfactive » dans les allées de Central Park. C’est à partir du 2 octobre que Delila Hill et Rachidatou Assou prennent place dans les ramures d’un orme d’Umpire Rock dans le sud-ouest du parc. Elles y resteront jusqu’au 15 octobre, jour de la fameuse « Procession des Brodeuses » où deux-cent milles femmes rassemblées sur le Great Lawn écoutèrent les discours et performances des poétesses CPTNY. Trois jours plus tard, le 18 octobre, Rachidatou Assou meurt sous les yeux de Sonia Hill, après une répression policière sanglante. Épisode que relaie la poétesse new-yorkaise dans le recueil 133, édité en 2097, et qui marque la fin du CPTNY et de l’aventure du 133 5th avenue.
[…]
Dans ses Carnets new-yorkais, Noémie Sow raconte son expulsion du Cénacle de Brooklyn, quelques temps après Sybil Morland fin 87, à la suite de disputes concernant l’organisation de l’occupation de la Cinquième Avenue par les poétesses des Cénacles Réunifiées de New-York qui était menées, entre autres, par Olivia Macdorn, poétesse majeure du mouvement. Elle écrit, au sujet de ces manifestations : « Quand nous nous sommes toutes assises au centre de la Cinquième, la pluie mouillait nos cuisses et nos visages et beaucoup d’entre nous pleuraient. Olivia s’est levée et a déchiré devant nos yeux Zanzibar de Judith Votler et a lancé dans le vent tourbillonnant de petits fragments de son grand poème. J’étais déchirée. Ce geste, qu’elle considère encore aujourd’hui comme politiquement justifié, m’apparaît toujours comme une erreur fatale et la première cassure dans notre lien. Après cela, je n’ai pratiquement plus pu lui parler et quelques mois après l’événement elle m’a demandé de partir du Cénacle ». Noémie Sow n’a jamais retrouvé de groupe d’écriture après cette expulsion qui sonna pour elle la fin de l’activité politico-poétique qui avait était jusque-là marque essentielle de son investissement littéraire. Mais, plus encore que cette mise à l’écart, « l’évènement de Zanzibar », comme l’appelle la biographe Cécile Down, a été un moment d’infléchissement déterminant dans l’écriture de Noémie Sow puisque dès 1988, elle se lancera dans plusieurs réécritures du poème-fleuve de Judith Votler et tentera même de le reprendre là où la poétesse européenne l’avait laissé, initiant ainsi ce qui deviendra cinquante ans plus tard le groupe de Voltérianes : institution littéraire féministe visant l’étude et la réécriture de Zanzibar. Un extrait de la seizième réécriture de Zanzibar par Noémie Sow parle d’ailleurs de l’occupation de la Cinquième Avenue :
Quelqu’un demande toujours.
Quelqu’un demain toujours.
Et que répondons-nous ?
Qu’un enfant nait en nous
Qui n’est pas un enfant
À naître.
Que nous nous tenons
Dans la main des unes
Et dans la main des autres.
La paume est un foyer.
L’âtre d’une ville empoussiérée
De lampadaires, baignées
De la nacre du marbre sale.
Que nous nous tenons
Les mains sous les cuisses :
Puissent-elles rester immobiles.
Que nous écoutons
Olivia qui déclame
Notre poésie d’ignorante.
Qui nous demande ?
Personne ne nous connait.
Mais nous nous connaissons.
Nous nous sommes appelées
Et nous nous sommes reconnues
Dignes d’être appelées encore.
Que faisons-nous ?
Nous habitons le territoire
Qui n’est à personne.
Que voulons-nous ?
L’invisibilité manifeste
Qui brûlera votre rétine
Et vous embrassera.
Ce passage crucial de l’œuvre de Noémie Sow est toujours l’objet d’exégèses complexes dans les groupes féministes new-yorkais contemporains. Le motif de « l’invisibilité manifeste » est notamment le point initial de la théorisation du combat féministe par Maria Dos Sueño dans le Manifeste Tokyoïte de New-york publié le 24 août 2068 par les cénaclières du Cercle des Poétesses Tokyoïtes de New-York (CPTNY), résidentes, justement, du 133 de la 5e avenue.
133, Sonia Hill, 2097
c’est un soir semblable à celui-ci que je t’ai rencontré au 133 de la cinquième avenue
tu portais d’immenses cubes d’aérogel traversés de la lumière de septembre – cette lumière que New-York fabrique entre les obliques vérités de silice et de pierre que forment les énormes plateaux géométriques que nous habitons
peut-être avais-tu le sourire que tu ne quittais jamais avant d’avoir à perdre l’été dernier bien plus que le sourire – souviens-toi
tu avançais au centre de la foule compacte de 18 heures bien décidée visiblement à la fendre comme du petit bois
autour de toi le monde entier était une bousculade
nous avons cru que tu nous filais entre les doigts mais Maria t’a rattrapé l’épaule avec sa voix – alors, je le sais, tu riais
et Maria aussi riait et nous toutes nous étions mortes de rire – vraiment
de t’avoir presque perdue dans le flux des new-yorkaises qui font, comme tu le disais, « les pires passantes du monde »
alors c’était l’époque où nous aimions croire que nous étions quelque part où vivre était possible
nos idées se déplaçaient toutes au rythme de la poésie – rythme soutenu qui allait bien avant les premiers voyageurs de ce pays maudit
« Sonia ! » avais-tu dit me regardant dans les yeux comme si nous nous connaissions
« Enfin ! » avais-je dit moi-même, découvrant en même temps que nous nous connaissions
puisque tu étais là
et vivante malgré tout
alors qu’un vent s’était levé
qu’il nous emporterait comme le font les bourrasques
qui renversent les tables dans les jardins bronzés des pavillons de banlieue
deux gamines passèrent en te faisant les poches
« c’est nous » pensais-je alors et je n’avais pas tort
même si je ne pouvais savoir alors à quel point
nous allions nous-même devenir voleuses d’un pays
de pétrole et de suif
de monnaie frappée dans l’or
ensuite nous sommes entrées dans le hall de notre immeuble
que déjà des sœurs couvraient d’inscriptions de poésie
littérature aux briques partout jusqu’au plafond
notre front chaud de fièvre suintait de mauvaise vie
pourtant nous rejetions des ombres hors de notre lit malade
et Tokyo était le cœur de notre prison d’évadées
je te regarde encore entrer dans la cuisine pour y goûter les fruits
que Delila épluchait
et dire je ne sais quoi avec ta bouche fendue
trois ans avant ta mort
tu goûtais le décor où tu irais – perdue
Nous brodions, Umeda Iho & Domen Reiko, 2450
Nous assistions, nombreuses, les poétesses, nombreuses : c’est-à-dire nous brodions. Il y avait sur le plan de neige un tissu dont les contours se perdaient dans les lointains ; nous enfilions l’aiguille, chacune la couleur – moi bleu, moi jaune, moi vert pâle – et nous brodions la poésie. La poésie était dictée depuis les profondeurs ; nous étions sur le plan de neige, et nous étions dans les souterrains de la ville ; les lumières de Tokyo, loin au-dessus de nos têtes penchées, brillaient ; nous suivions le tracé des ombres, nous suivions la poésie qu’on nous dictait ; nous étions des brodeuses, des assistantes ; nous émanions de la poésie comme les poétesses peuvent en émaner ; nous n’apercevions que de loin en loin leurs jupes ; elles couraient, criaient, parlaient la poésie ; nous attrapions les bribes que nous brodions ; la dictée n’était pas un moment solennel ; nous étions dans le vent et l’urgence de la marée ; la marée était noire, tous les égouts de la ville refluaient sous les neiges ; le tissu que nous brodions était fragile, menacé par chaque remugle ; la ville quelquefois nous envoyait, par décharge, des horreurs, et nous ne voulions pas les voir ; et notre poésie, notre broderie, pouvaient disparaître : quelquefois, c’était une poétesse que la boue emportait ; j’ai vu Minelli emportée ; j’ai vu Clara emportée ; les autres hurlaient pour couvrir leur peur et leur détresse ; nous étions sourdes à tout cela, puisqu’il ne fallait jamais cesser de broder ; je veux dire, dit Umeda, et je veux dire, dit Domen, que nous ne pouvions cesser, nous ne pouvions porter secours aux corps emportés des poétesses ; emportées, elles dictaient encore ; nous devions broder sous la dictée ; la poésie importait davantage ; le corps passait ; c’est ce que nous pensions. Nous brodions.
Nuinal, Svenista Olëi, 2454
Nous n’avons pas d’ogives nucléaires mais dix-sept millions de graines de prunus serrulata. Nous ne transportons pas de missiles à travers la Sibérie, mais nous possédons des cerisiers. Nakamura Kozue demande : que voulez-vous faire avec des graines ? Nous disons : planter. Nous n’avons pas de tête nucléaire, mais nous plantons des graines qui peuvent encore pousser. Elle demande comment faire. Gratter la terre. Nous disons : gratter la terre. Nous mimons le geste qu’il faut faire. Elle n’est pas là pourtant. Ici l’eau et la pierre fondent. Cela ne fait pas si longtemps que la terre est à gratter.
Les sœurs disposent dans des sacs deux millions de graines. Elles comptent. Elles ne parviennent pas à dépasser deux ou trois cents graines. L’Odonomo sait compter jusqu’à mille et plus. Elles disent : l’Odonomo sait faire ce que nous ne savons pas faire. Je dis : l’Odonomo compte à l’envers depuis un nombre très haut et redescend. Nous comptons depuis un chiffre très bas et nous montons. Elles disent ne pas comprendre. Je dis : l’Odonomo ne croit pas qu’un nombre plus haut que celui d’où il part pour compter existe. Elles disent : et alors ?
Et alors nous savons qu’un nombre plus haut que deux ou trois cents existe. C’est parce que nous savons qu’un tel nombre existe que nous remplissons pour les sœurs tokyoïtes les sacs de millions de cerisiers.
Ce qui compte à l’envers est facile : Odonomo, hommes, ogives nucléaires.
Qui compte en avant ? D’un à deux, de deux à trois, de trois à quatre. Nous comptons disent-elles. Les sœurs comptent dis-je.
[…]
De la baie ruissèlent les maisons de colonnes, de glace et de vitraux. J’effondre. J’habite où toutes les nuits se tiennent par l’épaule comme de vieilles connaissances ennemies. Toutes les nuits ensemble. Le prunus serrulata des sœurs repose sur le béton plancher. J’émiette les graines des cerisiers. J’abrite un pays décongelé. Je couve une fièvre. J’ai vécu dans les casemates d’un village englouti. Ruines réchauffées d’algues vertes.
Journal de Taos Mansour, 2555 (réédition de 2878 : httz//wikiviola/reseau-poetesses-tokyo-deuxieme/taos_mansour/journal.pk)
14/01/2552
Parfois, j’oublie que je suis venue dans l’Arché-Tokyo en pèlerinage. Les personnes que j’ai rencontrées sont les vestiges d’une époque que je n’ai pas connue. Les descendantes d’Umeda et de Domen sont assises, chacune d’un côté de la table en béton, et brassent sur leurs genoux des carrés de soie blanche.
Tous les carrés sont de même dimension : 15 centimètres sur 15 centimètres. Elles brassent les carrés et, de loin en loin, attirent mon attention sur l’un d’eux : ce sont les vestiges des broderies de l’époque, lointaine, où elles brodaient avec les assistantes. Quatre petites lampes éclairent notre scène.
Les filles des assistantes étaient deux grandes femmes. Elles étaient obligées de se pencher sur la table pour me montrer les broderies.
Je ne peux pas déchiffrer les voix brodées ; ni les motifs. La fille d’Umeda m’explique que les poétesses ne dictaient jamais tout à fait « des vers » ; par effets d’échos, de superpositions, on dirait plutôt « des fragments de vers ».
La fille de Domen prend le relai, et précise : la tâche des assistantes était, vraiment, une tâche d’écriture. Elles brodaient les fragments de vers pour en faire des vers, puis des poèmes, puis des recueils. Un grand voile de tissu – 15 mètres sur 15 mètres – équivalait à un recueil. Puis elles les repliaient, les rangeaient…
« Comment composaient-elles avec l’humidité des boyaux ? »
« Pourquoi ne reste-t-il que des petits carrés ? »
Les rats ont rongé d’abord les bords des grands voiles de tissu ; c’était un lent travail de sape que l’humidité prolongeait avec beaucoup de naturel. Puis l’Odonomo est venu – l’Odonomo XVII – et… les filles se taisent, font retomber leurs mains sur la table. Je n’insiste pas, parce que j’ai compris.
31/01/2552
Désormais l’Odonomo ne sévit plus, mais ça n’empêche rien : les boyaux de la ville sont presque tous comblés. L’Arché-Tokyo ne contient plus les gemmes, fleurs précieuses et pourries qui sévissaient. La broderie ? Elles n’ont pas su me répondre. Elles n’ont plus retrouvé les survivantes dans les boyaux de terre restés ouverts, et cachés. Elles pensent que les poétesses tokyoïtes se sont enfouies profondément, et comme des pierres, hibernent.
22/02/2552
Les filles d’Umeda et de Domen m’ont confié quelques carrés de tissu, brodés. Je ne les ai pas encore regardés. Elles m’ont demandé de les apporter à New-York, et de les confier à Clarissa.
23/03/2552
Clarissa s’est avancée, entre les longues tables de verre, et m’a serrée dans ses bras.
Elle m’accueille toujours avec un bouillon qu’elle a pris le temps de cuisiner pour moi, très parfumé, très épicé. D’où que je revienne – elle compose l’histoire de mon voyage. Je ne connais pas toutes les épices qu’elle utilise ; ce que je veux dire, c’est que je suis incapable de les nommer.
Clarissa fait pousser des herbes aromatiques sur le toit de notre immeuble ; 133 5th Avenue. Quelquefois, je l’observe ; elle est assise en tailleur sur le toit et arrache les mauvaises herbes. La façon qu’à Clarissa de jardiner m’intrigue ; toujours assise, toujours en tailleur, elle est paisible. Elle n’a pas peur des poussières radioactives.
Quand nous faisons l’amour, la nuit, j’ai l’impression que nous muons ; nous sommes les cocons, mais nous sommes aussi les branches nouées du mûrier, nous sommes le papillon et le vers, et nous explosons l’une dans l’autre. Clarissa jouit en pleurant ; je suis très émue, et je savoure jusqu’au dernier moment la montée de son plaisir. Ensuite, je jouis ; exactement après, fondue dans le plaisir de Clarissa, tandis qu’elle m’embrasse les tempes.
4/04/2552
Clarissa est penchée sur la longue table de verre, vêtue d’une robe étroite. Elle a noué ses cheveux humides sur sa nuque ; elle déchiffre les broderies.
Je me dis qu’elle doit être très émue. Elle a un visage très ému.
Elle se retourne, m’appelle ; je m’assieds à ses côtés, pour qu’elle me lise la poésie. Cela dure longtemps. Cela dure tellement longtemps que j’ai le temps de me confondre au tissu, de m’absorber dans les linéaments de la soie ; comme si, une fois encore, j’étais la branche de mûrier, la chenille et le vers, le cocon qui s’ébroue, les deux pattes retenues, ou les deux ailes ; beaucoup d’images me viennent parce que Clarissa lit la poésie sans discontinuer, sans me laisser le temps ni de respirer ni de l’embrasser dans le cou. Je me sens comme le petit papillon coincé par la branche, prêt à s’envoler, et qui meurt parce qu’il est pris dans les rets du cocon ; comme l’animal menu, voué à disparaître parce qu’on lui a retiré l’accès à la lumière ; comme Clarissa, enfin, je me sens comme Clarissa, et j’ai de longs cheveux humides qui pèsent sur ma nuque.
10/04/2552
C’est un miracle renouvelé. Nous lisons la poésie à tour de rôle, le soir, et nous ne faisons plus l’amour. Nous avons toutes les deux nos règles, et nous n’avons de désir que pour cette fusion de l’une dans l’autre avec la mue du vers à soie. Clarissa cherche à joindre les filles d’Umeda et de Domen, mais ce n’est plus possible. On dirait que toutes les lignes sont coupées.
Histoires de Zonzon-LAMALIGNE et de ses sœurs, X-Gilberte-X et Lolli_Attaway, Rimini Leocadia, 2888
Introduction p. 5
Partie I – Vies de hackeuses p. 27
Rituels d’enfance p. 28
1.a. L’ordinateur de nos frères p. 28
1.b. Voler du temps d’écran p. 35
1.c. Skyblogueries nocturnes p. 40
Easter-MOOCs p. 62
2.a. Elle code, je code, nous codons p. 62
2.b. Manuels de fortune p. 81
2.c. Apprendre de bric et de broc p. 96
Devenues-hackeuses p. 110
3.a. Hacker le hackeur p. 110
3.b. Vols d’avatars p. 128
3.c. Cancel-des-URL-mascus, histoire d’un raid p. 150
Partie II – Poétiques du hack p. 159
Xx-Sappho-xX : onomastique des Réseaux Mondiaux p. 160
1.a. Avatars et chatons p. 160
1.b. La démultiplication des Sappho p. 179
1.c. Intrusions par l’hétéronyme, et débuscage de trolls-mâles p. 195
Le Septième Réseau Mondial : pink-web p. 214
2.a. Un autre Dark-Web ? tentative de comparatisme historique p. 214
2.b. Haro sur les GAFAMTPRGs p. 241
2.c. Le Septième ou le Huitième p. 257
Pink-poetry p. 272
3.a. L’invention de la vidéopoésie p. 272
3.b. Des émoticones lyriques p. 298
3.c. Pluies d’étoiles p. 316
Partie III – Densifications hypertextuelles p. 329
Le Cénacle Hypertextuel des Poétesses Tokyoïtes (CHPT) p. 330
1.a. Espaces morcelés, égouts et dérives p. 347
1.b. Débris de l’Odonomo XXXV p. 360
1.c. Fondation, Manifeste de 2522 p. 373
« Ethernet de pacotille », disent-ils p. 399
2.a. Câbles sous-marins, ficelles et broderies p. 399
2.b. Un secret bien gardé p. 410
2.c. Reconstructions. 428
HTTZ, un septième protocole p. 441
3.a. Blogosphère féministe poétique p. 441
3.b. Réseaux de blogrolls p. 459
3.c. Échos, mèmes, fleurs p. 466
Conclusion p. 482
Annexes p. 500
Pink Nor Fa, « Les odonomos fonctionnent mal sous HTML », Ultra-Pink-Poetry, diffusée sur le Septième Réseau Mondial – adresse : wwww_pink-secret-poetry///POETRYCHANT343, 2504
U L T R A P I N K – P O E T R Y
ピンクの詩
LES ODONOMOS FONCTIONNENT MAL SOUS HTML
L’HyperTextMarkup Language digère l’Odonomo.
Croyez-le ou non, les balises HTML bouffent de l’intérieur les neuro-tissus des Odonomos du monde entier. C’est ce qu’a découvert le célèbre collectif Xx-NorDhack-xX le mois dernier. Avec Pink nous avons eu la chance de pouvoir échanger par scans avec les sœurs de Xx-NorDhack-xX. Rencontre.
Pouvez-vous expliquer pour les lectrices de Pink ce qu’est le HTML ?
Alors, c’est un très ancien langage de programmation utilisé au XXIe siècle pour les premiers sites web. Il est très simple, rudimentaire même. Pour vous dire, entre-nous on l’appelle la Ruine.
Ok ! Et comment l’avez-vous redécouvert ?
C’est une histoire étrange ! Je ne peux pas tout dire ici, mais en gros l’une d’entre-nous a retrouvé dans les caves d’un des Bureaux que nous cambriolions une unité centrale qui datait de plusieurs siècles et nous avons réussi à y entrer.
C’était difficile ?
(Smiley rire) Non très simple en fait ! Il a simplement fallu bricoler un adaptateur universel pour les ports antiques de la machine, mais rien de bien difficile. Nous avons ici quelques… techniciennes.
Et alors, qu’est-ce que vous avez trouvé après ça ?
C’est là que ça devient plus qu’intéressant. Ce qu’il faut savoir c’est que les sites antiques comme ceux qui utilisaient le HTML au début du XXIe siècle fonctionnaient sur le modèle médiéval du volumen. Je ne veux pas entrer dans les détails techniques ici, mais, disons que les balises nécessaires au fonctionnement du HTML forcent à la linéarité dans la constitution du code. Bref. Tout ça pour dire que c’est très différent de ce que nous connaissons ici sur le Pink Web, qui se réfère moins au modèle du volumen avec linéarité verticale, qu’à la structure rhizomateuse inventée à partir des découvertes de Sara Bruun sur les chronons et la Nouvelle Théorie du Temps du XXIVe siècle.
Haha j’ai du mal à suivre !
Pardon ! Ce que je veux expliquer ici c’est que nous avons trouvé le moyen d’implanter dans des drones numériques semblables aux Odonomos des lignes de code HTML qui bouleversent la complexité rhizomale du code qui les constitue pour les ramener à la verticalité de l’HTML. En deux mots, ça a pour conséquence de détruire le code définitivement et de le rendre irrécupérable.
Qu’est-ce que ça change avec les anciens hacks ?
Ça change tout ! Avant, nos meilleures hackeuses pouvaient hacker les Odonomos, mais sans modifier la nature du code, c’était impossible que ce hack soit durable et, au bout de quelques minutes, nous étions incapables de nous maintenir à l’intérieur du réseau odonomiesque. Nous n’avons pas encore testé notre nouvelle technique en HTML sur un Odonomo central, mais nous pensons qu’elle pourrait permettre la destruction pure et simple de leur réseau interne en modifiant la nature même des communications de leur réseau-racine.
Vous voulez-dire que vous pourrez bientôt hacker et détruire les Odonomos ??
(Smiley-sourire) Oui !! Nous travaillons d’arrache-pied pour (Smiley-rire) ! Nous allons faire un test sur l’un des Odonomos parisiens dans quelques semaines et si cela fonctionne, alors ça pourrait annoncer le début de la fin pour le système odonomiesque lui-même.
Comme vous le savez, chères lectrices, le collectif Xx-NorDhack-xX a plusieurs fois prédit, à tort, la fin des Odonomos et nous ne saurions être trop prudentes quant aux annonces exceptionnelles qu’elles s’autorisent à faire dans cet entretien. Néanmoins, les autres collectifs de hackeuses que nous avons contactés ont estimé possible l’utilisation du HTML à des fins de hacking brutal des systèmes internes des Odonomos. Affaire à suivre donc !
Pink Nor Fa est une des contributrices les plus assidues à Pink-Poetry. Poétesse, essayiste numérique et formée à l’école des encyclopédiennes de Nor Do, elle est spécialiste des réseaux clandestins de hacking et collaboratrice privilégiée de La Reformulation.
Pink Nor Fa.
Le Portail – où sont nos textes. première MàJ : 2504 ; dernière MàJ : 2888
Cette page est scriptible par toutes les hackeuses du 7e réseau mondial. Connectons-nous sous le compte Xx-Sappho-xX, mot de passe : pinkweb. Nous enrichirons cette sitographie de toutes les pages soutenues par le protocole HTTZ.
Bases de données :
Nor Do. Encyclopédie collaborative et universelle de l’histoire des cénaclières. Extension du Portail.
cancel.pk. Répertoire de tous les raids des hackeuses menés contre l’Internet masculiniste.
Sites des Cénaclières Hypertextuelles :
Grosse-groseille.pk., Zonzon-LAMALIGNE. Recensement des baies classées par leur ordre d’apparition depuis la Grande Replantation mondiale. Fiches comparatives : baies anciennes, baies nouvelles. Tentative de poétique de la baie par la manière dont on la cuisine à Tokyo, Johannesburg et Nanchang.
Câblées.net, Lolli_Attaway. Épopée des câbles sous-marins et de leurs succédanés dans le domaine de la technologie pauvre, depuis le développement de la broderie sous-marine. Le site est participatif : toute hackeuse peut dessiner les câbles qu’elle a elle-même tissés, ou dont elle a connaissance, et l’intégrer dans le chant des câbles.
Poé.cats.pk, X-Gilberte-X. Hébergeur vidéo ouvert par les sœurs à l’origine du pink-web, et désormais modéré par la seule X-Gilberte-X, ce site accueille tous les vidéopoèmes et émoticones fleurs des hackeuses. Il est hébergé dans le bunker souterrain de Svalbard, et par là même, très solide.
chez-Viola.pk, Violaaaa. Site de troc à l’échelle mondiale – trois catégories principales : les graines, les tutoriels de code, les services.
Revues hypertextes :
Arkéologiedonomiesque.pk Numéro bi-annuel. Permet le recensement de tous les fossiles d’Odonomos, leur taxinomie, les stratégies d’analyse élaborées par les hackeuses.
slow-code.pk Parution hebdomadaire. Techniques de slow-code, entretiens avec les penseuses de la technique hacker en contexte post-odonomiesque, débats sur les grandes orientations collectives et sur la gouvernance du pink-web.
Ultra-Pink-Poetry.pk Revue mensuelle avec entretiens et articles critiques sur l’actualité du hacking et de la poésie HTTZ.
Sfumato, Elena Peris, 2034
Goliarda. J’ai abrasé deux collines de Rome pour tes yeux. Réponds-moi, s’il te plait, même si tu es morte et que la révolution ne marche plus. Je suis opiniâtre et pleine de volonté. Antonio. Mon intelligence est un champ de coton qui prend feu. C’est trop facile de me tourner le dos dans ta mort. Depuis la prison de ta mort. Vous n’êtes pas les supplicié.es puisque vous n’existez plus. Qu’il est simple d’échapper à l’oppression par ses cendres. Nous autres, les sardes de la piazza Navona, nous posons des ombres sous les bancs, sur les pavés, dans les couloirs de briques sang du stade de Domitien et nous vous attendons.
Coffrets de joyaux, Céleste Dusantal, 1887
J’étais, désormais,
Toute élément décoratif,
La guirlande de mon amant.
J’étais dans les salons, en robe
Droite, simple et muette.
La guirlande
De mon amant ;
Si tout me gratifiait d’un
Regard, c’était bien fini. Un seul,
J’étais la guirlande
De mon amant. Le collier,
Les pierres, précieuses si on
Veut mais le bijou. Muette et
Pleine, la coupe, d’un fiel
Et gratitude.
Précieuse j’ouvrais
La bouche, et ce qui en sortait,
C’étaient ; perles, et or, joyaux sur
L’ongle, rubis — rien du tout. Et
Dire qu’on a eu mal, alors,
C’est dire, quoi ?
Qu’on a eu si mal,
Parce qu’on était bien des
Rubis, pourtant, des pierreries.
Précieuses, et muettes, renfrognées
Et nos amants diserts et décorés
Précieux colliers, précises
Alors j’étais
Du fiel.
Tout miel.
Mon âme comme à la guerre, Tatiana Reinfold, 1932
Les mots ont une destination trouble, qui n’est pas ma voix. Ils n’appartiennent plus, désormais, au champ des possibles. Ils ont passé ; ils ont roulé dans l’ornière.
Il faut refaire les mots. Pour refaire les mots, il faut briser menu tous les mots. Déchirer les livres, et mettre le feu. Rien n’est réparable. Les mots existeront toujours ; une fois brûlés, quelqu’un s’en souviendra. On n’en pourra rien faire. Rien à débusquer, rien à extirper, rien à arracher.
Le feu ne sert de rien, dans ces conditions – ce sont, là, les conditions d’être juste.
J’ai mal quand j’y pense. Je pense qu’on ne peut pas réparer les hommes ; on ne peut pas utiliser les mots pour colmater les fissures qu’ils ont ouvertes.
J’ai mal quand j’y pense. Dans le lac gelé, les fissures ouvrent des failles. Quand nous marchons sur la glace, nous savons que nous allons couler ; nous nous voyons couler.
Je dis que nous sommes intenses ; ça ne nous sauve pas.
Issues des profondeurs, Giselle Passerrelle, Paris, 1972
Nos forces grandissent
Et ne se démentent jamais.
On nous a, pourtant, vues parmi les sapins
Où nous chinions la porcelaine, les
Débris, et le houblon doré.
Tu es une sorte de plante, rampante,
Tu voles un territoire qui n’est pas
Le tien, donc tu t’accroches.
Tu n’es pas une herbe folle, donc
Je te ramasse, donc je te
Caresse.
Bien sûr c’était facile de l’oublier
C’est quelque chose, quand même
De remonter,
Elles étaient de la modernité passive, Sbérénice Long, Johannesburg, 2082
p. 10 :
Depuis des générations et des générations
JE me pose la même question.
Au travers de mes narines
Et du bruissement confus de mon intestin,
Grêle. JE me suis vue, venue et arrivée, comme les plantes
D’intérieur, et foutue, comme le gazon. JE me suis vue
Rire d’un rire atroce.
J’attends car, de toute part,
JE me suis vue transpercée. JE me suis vue dans la carapace
Et peut-être dans le vison, sanglant.
J’ai, en tout cas, une certitude : vision / pas vision
Qu’importe ? à moi, tout est venu. Et tout m’est
Advenu. Qu’importe ? JE suis dans les poils de
Mes narines, J’écarte les narines, JE
Suis comme le gazon. Un parterre vaste et
Uniforme.
JE sais qu’il ne faut pas confondre le vison aux visions.
JE pleure, roulée dans le jardin, pire qu’une moquette
Ou qu’un hérisson. Hirsute, je me suis vue transpercée
Qu’importe ?
Tatiana Stroll – chirurgie poétique, Uguette Fabre, 2002
L’entreprise de Tatiana Stroll peut donc s’interpréter comme une authentique ligatorologie, telle que Ania Doldorgne définit l’écriture ligatorologique comme « écriture de liaison ». Il s’agit bien, chez Tatiana Stroll, de « serrer avec une corde », la « corde étroite de la langue », ce que l’oralité laisse ouvert, ou, pour le dire autrement, « défaire dans le silence de la lettre tracée ce que le bruit de la parole fabriquait ». Dans un entretien de 1987, la poétesse rappelle que les locutrices des cercles de parole laissent toujours, derrière elles, une « ligne de traîne » capable de pêcher, ajoute-t-elle, les sous-entendus, les implicites, les résidus et qu’il est question, pour elle, de « remonter la ligne dans la coque vide de la page, dans le bateau mort de l’écriture ». La ligatorologie désigne donc ces écritures de la trahison qui, dynamitant les forces vives de l’oralité, font bien œuvre de déchirure par le scriptus de la lettre. Écritures nécessairement endeuillées, puisqu’elles se font envers et malgré tout ce que la discursivité ouvrait dans le paysage de la parole. Mais aussi écriture chirurgicale qui « enrichit le stock de la langue » par la sauvegarde, par la fusion du bruit de la langue et des « muettes traces de louves dans la forêt coupée de l’imprimé ». Dans Ligature, Ania Doldorgne analyse justement le procédé typographique de la ligature, à savoir « la fusion de deux ou trois graphèmes d’une écriture pour en former un nouveau », comme le caractère essentiel des écritures de la « prise de note, du secrétariat, du témoignage ». Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’association naturelle de deux entités appartenant à un même système de signes, qui produit une forme contre-nature, au sens où le produit terminé n’appartient génétiquement ni à la stricte oralisation ni à la stricte signalisation. Si Tatiana Stroll « serre avec la corde du signe » le nuage du prononcé, c’est bien parce que ce qui fut prononcé, ce soir d’avril 1979, ne pouvait en aucune manière être « attaché au piquet du témoignage », mais qu’il fallait, au contraire, « ligoter le récit pour qu’au moins, au centre de la pelote, le vide soit conservé ». Nous retrouvons partout dans les poèmes de Tatiana l’idée que la signature, considérée comme écriture des signes et comme ligature des voix, ne vaut que parce qu’elle permet de conserver, au centre, le domaine que la parole tue a laissé vide. « Toutes les voix du cercle, écrit Tatiana Stroll dans Plago, toutes les voix du groupe fabriquaient, je le voyais devant moi comme je vous vois maintenant, toutes les voix soufflaient vers le centre du cercle un bulle de paroles, de silences, de chuchotements et la bulle, en gonflant, devenait de plus en plus proche de l’explosion. Je devais, ne me demandez pas pourquoi, mais je devais ligaturer la bulle par le fil de l’écriture, les signes devaient l’entourer pour qu’à son explosion prochaine, dans une, deux, trois minutes, reste, au moins, la coque vide, l’œuf du discours : tout ce qui pouvait s’écrire autour de ce qui s’était dit et tout ce qui était resté à la porte des voix. Voilà. C’était mon rôle. Entreprendre le bandage, ou peut-être écorcher au contraire ?, de la blessure que leurs paroles faisaient dans le récit. »
Es sol sobre nieve, Ndolo Kanyinda, Berlin, 2087
« Un Portique aux dents corrodées pour la Mariée » hurlait-on entre les galets dépolis de la plage d’Amanioc. Des pierres frottées à silexfiltré les flamèches.
— Qu’a-t-il dit ? pensa Emilia.
— Du Portique ! Du Portique ! rétorqua Anyi qui soulignait toutes les pensées d’Emilia de telle sorte que les siennes propres, nettes et blanches, apparaissent toujours pensées « d’après Emilia ».
— Vous n’écoutez dont pas ? Il raconte que nous sommes les infréquentés infréquentables ! chuchota une autre.
— Et c’est vrai ?
— Peut-être. Cela dépend du portique, expliquait-on.
« Qu’on amène le Portique ! » scandait la foule. La rue principale était pleine du sang des bœufs écorchés suspendus aux crochets d’une énorme bouchère de l’angle du Boulevard.
Après un temps, le Portique arriva. Il se tenait indécis entre Sublime Porte et Stoa. La Mariée et la Mariée se confondaient en excuses : le spectacle n’est pas glorieux, disaient-elles, ce n’est pas nous mais eux, ajouta-t-elle en désignant du doigt la foule qui scandait encore : « PORTIQUE ! PORTIQUE ! »
Le Portique fit silence en battant les battants avec force et fracas. Au ciel, une meute d’oies chasseuses de Fortune passèrent dans le tem-plume d’une oracle qu’un Ancien désignait comme « Pythie Universelle ». « C’est maintenant » souffla l’oracle.
Le Portique ouvrit ses portes. Une peinture se tenait là, sèche, d’acryliqueur de cerise. Elle était manifestement un portrait de la Mariée et de la Mariée dans une tenue blanche et sang. Le paysage se confondait aux robes exactement comme dans la Deuxième Sagrada Familia de Barcelone (édifiée en 2042 après les évènements narrés par Bar Avel).
— Alors alors !
— Chhhhhhhuuuuuutt, fit la foule.
— Je ne vois rien, dit une autre foule que la première, dissimulée.
— Et moi non plus ! beugla une autre, plus lointaine encore.
(et ainsi de suite jusqu’à épuisement dans le quanta)
— Alors ? demanda Emilia, en pensée.
— Nous sommes faites, parfaitement infréquentables.
Le Portique disparut. Et la ville. Et la rue. Emilia resta seule. Tenant le galet et la nuit. Léchant le galet pour le sel et la nuit pour son fruit.
Et pour fuir d’un labyrinthe à l’autre : Contemplattentives.
UÜ
Cet antilivre est optimisé pour les versions ordinateur récentes de Firefox et de Chrome.
(Certaines lenteurs peuvent apparaître sur d'anciens ordinateurs ou si de nombreux onglets sont ouverts.)
[WASD/Flèches]: se déplacer
[Espace]: sauter
[Souris]: rotation
[Cliquer sur une image]: afficher un texte
[M]: musique
[Esc]: menu
[Bouton gauche]:
se déplacer
[Bouton droit]:
sauter
[Cliquer sur une image]:
afficher un texte
[Tactile]:
rotation